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L’immigration : un remède à la pénurie de main-d’œuvre en région?

Source : Le Soleil
Source : Le Soleil

Chaque année, les finissants et finissantes du programme de Sciences humaines, au cégep de Rimouski, doivent travailler pendant 3 semaines sur un enjeu de société particulier, dans une perspective multidisciplinaire. Depuis quelques années, le sujet concerne l’immigration en région. On entend souvent dire qu’il nous faudrait plus d’immigration en région. Le plus souvent, on relie cet enjeu à un autre, celui de la démographie et, par extension, du vieillissement de la population qui nous touche de plein fouet. Les statistiques frappent : le Bas-St-Laurent (25 %) et la Gaspésie (26,5 %) sont les régions qui comptent la plus forte proportion de personnes âgées de 65 ans et plus au Québec, en 2018, et les régions où l’âge moyen est le plus élevé (46,3 ans au Bas-St-Laurent et 48,2 ans en Gaspésie).1 La pénurie de main-d’œuvre illustre un des aspects les plus visibles du vieillissement de la population. C’est un phénomène que l’on constate quotidiennement dans le domaine des services, que ce soit dans les commerces de détail ou restaurants, dans le secteur public, en santé ou en éducation et dans le secteur industriel. Par un curieux amalgame, on en vient donc à penser que l’immigration va régler tous nos problèmes concrets de main-d’œuvre. Lors de la campagne électorale québécoise de 2018, on parlait abondamment de l’immigration comme de la solution à la pénurie de main-d’œuvre et la plupart des partis ont présenté des engagements en ce sens.2

Le défi demeure immense. Quand on regarde, encore une fois, les statistiques démographiques, on constate que le pourcentage de la population né à l’étranger est nettement plus élevé dans la région de Montréal (23,4 % dans la région métropolitaine en 2016), que dans l’ensemble du Québec (13,7 %) et dans des villes de notre région, comme Rimouski (1,8 %) ou Rivière-du-Loup (1,5 %).3 C’est bien beau d’offrir des emplois bien payés, des logements abordables ou une qualité de vie très intéressante pour les familles, encore faut-il retenir les gens, une fois arrivés. C’est un des aspects les plus méconnus de cet enjeu, que celui de la rétention. Le Québec traîne, par rapport à l’Ontario et René Fréchette, de l’organisme Accueil Liaison pour Arrivants (ALPA), affirmait « qu’on a tendance à minimiser l’importance du processus d’accompagnement pour qu’une intégration réussisse. On saisit mal le temps nécessaire pour réussir une intégration ».4 Les ressources pour l’accompagnement de ces personnes immigrantes qui souhaiteraient s’établir hors des grands centres sont encore peu nombreuses, malgré les efforts déployés. Ajoutons à cela les enjeux liés à la francisation, une condition essentielle pour l’immigration en région, mesure dans laquelle le précédent gouvernement a coupé en 2016.5

À la base, notre conception de l’immigration demeure simpliste : immigration = main-d’œuvre. Or, ce ne sont pas des intrants dans un processus de production de la richesse, ce sont des personnes. Les hommes et les femmes qui ont pris le chemin de l’exil sont plus qu’une main-d’œuvre bon marché pour faire rouler le système. Ce sont des personnes avec une histoire, parfois tragique lorsqu’on fuit la dictature, la répression, la guerre ou la famine, avec des valeurs, une culture différente, qui ont décidé de quitter leur terre natale pour d’établir dans un nouveau pays. Elles ont aussi des rêves, des projets, des idées, pour elles-mêmes et leurs enfants. Et c’est en prenant en compte cette complexité que nous devons aborder le phénomène, et non simplement en tant que solution à la pénurie de main-d’œuvre, si nous voulons devenir des communautés accueillantes.

Le vieillissement de la population va continuer et la démographie demeure implacable.

De toute manière, peu importe si on augmente de manière importante les quotas d’immigration, rien n’y fera. Ce n’est pas ça qui va régler les problèmes démographiques de notre région et du Québec.6 Il ne faut pas miser sur une très hypothétique hausse de la natalité.7 Le vieillissement de la population va continuer et la démographie demeure implacable.8 Au-delà de l’immigration, il serait intéressant d’entendre un peu plus le monde politique se pencher sur d’autres aspects du problème, qui n’ont pas eu le même écho médiatique que l’immigration. On n’en a eu que pour cet enjeu, mais beaucoup d’autres sont passés sous le radar : âge de la retraite, retraite progressive, fiscalité incitative, reconnaissance des compétences, automatisation, regroupement de services, etc. Pour s’attaquer à un problème aussi complexe que le vieillissement de la population, ça prend plus que des solutions simplistes.


1 Anne BINETTE CHARBONNEAU et al., « La population des régions administratives, des MRC et des municipalités du Québec en 2018 », Coup d’œil sociodémographique, numéro 69, mars 2019, p. 5-6, http://www.stat.gouv.qc.ca/statistiques/population-demographie/bulletins/coupdoeil-no69.pdf (page consultée le 3 février 2020).

2 Voir à ce sujet Romain SCHUÉ et Yannick DONAHUE, « L’immigration sera le sujet décisif de l’élection, juge Couillard », Radio-Canada (10 septembre 2018), https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1122852/plq-main-oeuvre-immigration-francisation-elections-quebec (page consultée le 3 février 2020).

3 STATISTIQUE CANADA, « Série Perspective géographique », dans Recensement de 2016, Ottawa, Statistique Canada, https://www12.statcan.gc.ca/census-recensement/2016/as-sa/fogs-spg/Facts-cma-fra.cfm?LANG=Fra&GK=CMA&GC=462&TOPIC=7 (page consultée le 3 février 2020).

4 Kim VERMETTE, « Le Québec a encore du mal à retenir ses immigrants, selon une étude », Radio-Canada (18 septembre 2018), https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1124469/insitut-quebec-situation-immigrants-chomage-retention (20 février 2020).

5 Robert DUTRISAC, « Les coupes sont scandaleuses, juge l’opposition », Le Devoir (10 février 2016), https://www.ledevoir.com/politique/quebec/462580/francisation-en-entreprise-les-coupes-sont-scandaleuses-juge-l-opposition (page consultée le 3 février 2020).

6 Mathieu-Robert SAUVÉ, « L’immigration est un “remède imaginaire” au vieillissement de la population », Forum (11 mai 2016), https://nouvelles.umontreal.ca/article/2016/05/11/limmigration-est-un-remede-imaginaire-au-vieillissement-de-la-population/ (page consultée le 3 février 2020).

7 Encore faut-il avoir des places en garderie, comme nous le rappelait ces derniers jours un article de Radio-Canada sur les parents laissés pour compte : Marie-Jeanne DUBREUIL, « Des parents rimouskois lancent un cri du cœur pour plus de places en garderie », Radio-Canada (30 janvier 2020), https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1499231/parents-rimouski-places-garderies-harold-lebel (page consultée le 3 février 2020).

8 Le phénomène de vieillissement de la population était anticipé depuis des décennies, car on a vu le taux de natalité diminuer de manière importante à partir des années 1960 au Québec. Celui-ci est tombé sous le seuil de remplacement de la population, estimé à 2,1 enfants par femme en âge de procréer. Pour voir l’évolution de la pyramide des âges au Québec, vous pouvez consulter le tableau interactif de l’Institut de la Statistique du Québec : ISQ, « Pyramide des âges animée, 1971-2066 », dans Population — Pyramide des âges, Québec, ISQ, 2019, http://www.stat.gouv.qc.ca/jeunesse/statistiques/population/pyramide_ages.htm (page consultée le 3 février 2020).

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