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Les anti-masques, le complotisme et le débat public – première partie

Visions de société
Photo par Markus Spiske sur Unsplash

Depuis les premières indications à l’effet que le port du masque pourrait devenir obligatoire, il y a eu une levée de boucliers plutôt bruyante d’une partie de la population. Si les sondages indiquent que plus ou moins 75% de la population est pour cette mesure, le quart de la population qui est contre se fait entendre d’une manière qui laisse croire qu’ils sont plus nombreux.(1)

Ils manifestent, s’expriment sur les réseaux sociaux, font les manchettes pour certains coups d’éclat, voulus ou non. Les théories du complot fusent de toute part, de même que les appels à la liberté. Ce qui a quelque chose d’ironique quand on y pense. Un groupe s’est même lancé dans la contestation en cour du port du masque, car, selon eux, cette mesure contreviendrait à la Charte canadienne des droits et libertés. Le FDLP(3) a d’ailleurs réussi un bon coup de publicité en s’associant au réputé Me Guy Bertrand, association qui n’a toutefois duré que quelques semaines puisque ce dernier a largué ses clients à cause du comportement de ceux-ci (complotisme, mépris de la procédure judiciaire, manipulation).(3)

Plusieurs personnes des milieux scientifiques et intellectuels ont tenté de débattre avec les “anti-masques” ou ont tenté de s’adresser au reste de la population pour rétablir les faits, mais ce mouvement ne semble pas s’affaiblir pour autant. Je ne referai pas ici le débat sur le port ou non du masque, je ne suis pas un expert de la santé. Par contre, un certain nombre de notions fondamentales sont soulevées par ce débat et je tenterai d’en donner un certain éclairage.

Quelle société ?

D’une certaine façon, la société et l’individu sont deux pôles qui s’opposent. La société et l’individu peuvent avoir une identité, une volonté, du pouvoir. Ils se tiraillent, cherchent un certain équilibre. Dans une tyrannie, l’individu perd son identité, sa volonté et son pouvoir au profit de la société, incarné dans l’État. On doit être et faire ce que la société nous dicte, sous peine de représailles. Dans le chaos ou l’absence d’État, l’individu est le centre de tout et l’identité, la volonté et le pouvoir de chacun risque fort d’entrer en conflit avec ceux des autres. C’est un peu la “guerre de tous contre tous” dont parlait Hobbes.

Cette opposition se reflète aussi dans la tension qui existe entre le politique et le droit, soit entre la volonté collective et le respect de l’individu. La volonté et l’action collective briment quasi toujours l’individu. De l’autre côté, le droit peut souvent empêcher l’expression de la volonté populaire pour protéger l’individu. Dans les sociétés libérales, tel que la nôtre par exemple, il y a une recherche d’équilibre entre la société et l’individu, entre la volonté populaire et la liberté individuelle. Or, ce n’est pas parce qu’on recherche l’équilibre qu’on y arrive forcément.

Chaque fois qu’un déséquilibre est ressenti, il y a réaction. Ce qui est normal. Par contre, il n’est pas forcément ressenti par tous de la même façon et ce point d’équilibre n’est pas toujours le même pour tout le monde. Dans le débat actuel entre les “anti-masques” et les “pro-masques”, il semble y avoir deux conceptions bien différentes d’où devrait se situer ce fameux point d’équilibre. Autrement dit, deux conceptions bien différentes de la société.

D’un côté, une vision “atomiste”, soit que la société est la simple somme de ses “particules”. Autrement dit, on doit prioriser la liberté individuelle et limiter au maximum les contraintes étatiques. C’est une conception que l’on trouve dans les deux extrêmes : à droite, chez les libertariens et les anarcho-capitalistes ; à gauche, chez certains libertaires et dans une certaine frange anarchiste. Chez les partisans de cette vision atomiste, on retrouve des gens au discours structuré, mais aussi des adeptes de pseudoscience, de complotisme ou tout simplement des “intuitifs” qui voient la liberté comme une simple question de goût ou de mode.

De l’autre côté, une vision “communautariste”, soit une société qui a en partage un certain nombre d’aspirations et une volonté commune qui est identifiable. Dans cette vision, l’identité n’est pas seulement un fait individuel, mais aussi une réalité collective. Cette vision suppose une certaine homogénéité de la population. On y accepte des compromis qui peuvent être importants sur la liberté individuelle, parce qu’on intègre, voire privilégie l’idée d’une liberté collective. Encore une fois, on peut voir cela tant dans les mouvances de droite que de gauche. Et, comme pour la vision atomiste, le niveau de cohésion est très variable.

Le malaise libéral ?

Si la plupart des gens semblent, à tort ou à raison, bien vivre avec l’équilibre que semble offrir le modèle libéral, force est de constater que certains éprouvent un malaise avec “l’imposition” de cet équilibre. Ce malaise prend forme dans la critique, voire dans la protestation. Celles-ci font certes partie d’une société dite libre, elles sont même nécessaires à son existence et à son évolution. Cependant, la dispute actuelle quant au port du masque soulève une autre question : est-ce que toute critique est recevable dans le débat public ? 

Références

  1. Patrick Bellerose. Fort appui au masque obligatoire, Journal de Québec, https://www.journaldequebec.com/2020/07/18/fort-appui-au-masque-obligatoire, consulté le 31-07-2020.
  2. https://fpplc.org/
  3. Gabriel Béland. L’avocat Guy Bertrand se dissocie de clients complotistes, La Presse, https://www.lapresse.ca/actualites/2020-07-07/l-avocat-guy-bertrand-se-dissocie-de-clients-complotistes.php, consulté le 31-07-2020.
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