La crise d’Octobre à Rimouski
Il y a 50 ans, Rimouski et l'Est du Québec subissaient les contrecoups des événements connus aujourd'hui sous le nom de crise d'Octobre.NDLR: Cette chronique s’inscrit dans une série de textes portant sur les 50 ans de la crise d’Octobre 1970, dans un dossier proposé par le journal le soir.
Mise en contexte
À partir de 1963 des petits groupes se réclamant du Front de libération du Québec (FLQ), choisissent la violence pour tenter d’obtenir l’indépendance de la province. À Montréal surtout, des bombes éclatent périodiquement. Au moins onze réseaux terroristes se manifestent à tour de rôle. Les cibles sont en grande majorité des institutions sous la juridiction du gouvernement fédéral, notamment les postes, les casernes de l’armée et les banques. La bourse de Montréal est également dévastée lors d’un attentat en 1969.
La violence atteint son paroxysme au mois d’octobre 1970. Le 5 octobre, une cellule du FLQ enlève un diplomate britannique en poste à Montréal, James Richard Cross. En échange de leur otage, les ravisseurs exigent la libération de prisonniers politiques et la diffusion d’un manifeste dans les médias. Devant le refus du gouvernement de négocier, une autre cellule enlève, cinq jours plus tard, le vice-premier ministre du Québec, Pierre Laporte qui sera exécuté. Son corps est retrouvé dans le coffre arrière d’une automobile le 17 octobre.
La Loi sur les mesures de guerre
À la demande du maire de Montréal, Jean Drapeau et du premier ministre du Québec, Robert Bourassa, le gouvernement canadien dirigé par Pierre Elliott Trudeau impose le 16 octobre à 4 h 00 du matin la Loi sur les mesures de guerre. Le gouvernement fédéral envoie immédiatement l’armée à Montréal pour écraser ce que la loi appelle « une insurrection réelle ou appréhendée ». Force est de constater que l’insurrection est davantage dans le texte de la loi car dans les rues, il n’y a aucun signe de révolution.
Dès que la Loi sur les mesures de guerre est promulguée, les différents corps policiers, GRC, Sûreté du Québec et polices municipales, procèdent à l’arrestation d’au moins 497 personnes un peu partout dans la province dont 53 au Bas-Saint-Laurent et en Gaspésie. Dans l’Est du Québec, le scénario est le suivant. Le 15 octobre, le caporal Roland LaBissonnière du la Sûreté du Québec en poste à Québec est informé qu’il est désigné pour faire appliquer la Loi sur les mesures de guerre dans l’Est du Québec et qu’il est personnellement chargé de superviser les arrestations qui doivent être effectuées quelques heures plus tard dans les régions de Québec, du Saguenay-Lac-Saint-Jean et de la Côte-Nord. Il avait été décidé que le quartier-général de la SQ à Montréal s’occuperait quant à lui de superviser les arrestations au Bas-Saint-Laurent et en Gaspésie.
À Rimouski, le commandant de la Sûreté du Québec du district Bas-Saint-Laurent, l’inspecteur Georges Fafard, est également appelé à Montréal pour discuter des mesures pouvant être prises en raison de cette situation. À son retour, l’inspecteur Fafard déclare au journal Le Progrès-Écho, que le FLQ n’a pas de cellules dans l’Est du Québec. Il précise : « Il n’y a aucune activité de ce genre dans la région. » Le policier ajoute cependant : « Toutefois, quand il vient dans la région des individus dont leur appartenance à la philosophie du mouvement est reconnu, nous nous intéressons de près à ceux-ci.
Une vague d’arrestations
Bien que le responsable de la Sûreté du Québec au Bas-Saint-Laurent affirme qu’il n’y a pas de felquistes dans la région, on procède néanmoins à 53 arrestations dans l’Est du Québec. Ces personnes sont appréhendées à partir de listes dressées dès le 13 octobre. Il a été révélé par la suite que les noms d’un grand nombre des personnes arrêtées, parmi lesquelles des artistes, des membres du parti séparatiste, des journalistes et des syndicalistes, avaient été fournis par les ministres fédéraux Gérard Pelletier et Jean Marchand. Sans aucun mandat, ces gens sont arrachés à leurs lits et détenus pendant plusieurs jours.
À Rimouski, le sociologue Pierre Jobin est arrêté lui aussi en pleine nuit. Durant sa détention, il partage un secteur de la vieille prison de Rimouski avec d’autres personnes interpelées lors de cette rafle dont Richard Amiot, Pierre Tremblay, Gilles Gauvin et Rodrigue Lévesque. Un homme de Cap-Chat, Patrick Straram est aussi du nombre. Monsieur Jobin est détenu six jours, subit un interrogatoire et est finalement relâché sans aucune accusation, comme la quasi-totalité des personnes arrêtées. Pierre Jobin me confiait il y a quelques années qu’il n’avait jamais réussi à connaître les véritables motifs de son arrestation.
Le 16 octobre et les journées suivantes, à Rimouski, il y a de la nervosité dans l’air. On verrouille les portes du Palais de justice qui abrite également la prison à cette époque. L’armée régulière ne patrouille pas dans les rues de la ville et le Régiment Les Fusiliers du Saint-Laurent n’aurait pas été sollicité. Par contre, les forces policières sont bien visibles. Le député de Rimouski et ministre des Affaires municipales, Maurice Tessier, se trouvait à Rimouski quelques jours avant l’imposition de la Loi sur les mesures de guerre. Le gouvernement dépêche un avion nolisé à l’aéroport de Rimouski-Est pour le ramener d’urgence à Québec où le cabinet Bourassa doit prendre des décisions importantes. Entre son domicile, situé rue Saint-Germain ouest et l’aéroport, la voiture de Maurice Tessier est alors escortée par plusieurs véhicules de la Sûreté du Québec.
La tension va baisser dans la région, comme ailleurs au Québec, au mois de décembre. Les ravisseurs de James Richard Cross libèrent leur otage le 3 décembre en échange d’un sauf-conduit pour Cuba tandis que les assassins du ministre Laporte sont arrêtés le 28 décembre dans une maison de Saint-Luc en Montérégie et par la suite condamnés à de longues peines de prison.
Autre impact à Rimouski
Pour l’anecdote, soulignons que la crise d’Octobre a fait dérailler en 1970 la première présentation du Festival d’automne de Rimouski. Notre ville avait été choisie cette année-là pour accueillir les gagnants d’un concours en France, organisé par trois grandes sociétés, Europe 1, Pernod et Gévelot. Ce concours, connu sous le nom d’Opération faisans, était une initiative visant la relance des Sociétés de chasses communales françaises. Les heureux gagnants ont alors le privilège de participer à un voyage de chasse à l’étranger. En 1970, les organisateurs choisissent le Québec, et plus spécifiquement la ville de Rimouski, pour accueillir, en octobre, les 200 gagnants.
Nul n’avait pu prévoir cependant que les 200 chasseurs armés allaient débarquer en pleine crise… La remise en vigueur de la Loi des mesures de guerre interdisait à quiconque de se promener avec des armes à feu à la grandeur du Québec. Après bien des négociations avec les autorités, la chasse aux faisans a quand même lieu, mais sous l’étroite surveillance de la police et de l’armée… Néanmoins, le comité d’accueil rimouskois a dû annuler plusieurs des activités prévues pour agrémenter le séjour des visiteurs. Les Français ont néanmoins décidé de revenir chez-nous l’année suivante.