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Des processus démocratiques à repenser

La démocratie municipale et le "pas dans ma cour"

Pour cette chronique, je vais faire d’une pierre deux coups ! Au cours des dernières semaines, deux sujets qui ont fait les manchettes ont retenu mon attention : la candidature de Virginie Proulx à la mairie de Rimouski et le débat sur deux projets majeurs associés à l’étiquette “pas dans ma cour”.

Le fil conducteur de ces deux sujets : il y a une réflexion à avoir collectivement sur les processus démocratiques. 

Je ne connais pas personnellement Mme Proulx et je n’écris pas cette chronique pour lui faire un appui officiel dans la course à la mairie, mais je pense qu’elle soulève un débat nécessaire lorsqu’elle parle de la participation citoyenne dans les décisions de la ville.

J’apprécie particulièrement que le message tourne autour des processus démocratiques plutôt que sur une ribambelle de promesses. Dans une démocratie idéale, si nous prenons pour principe que tout citoyen est égal et apte à décider, les idées devraient d’abord venir des citoyens eux-mêmes et non pas exclusivement des élus.

En effet, la démocratie ne devrait pas être un grand marché public dans lequel une minorité vend quelque chose à la majorité. La population devrait pouvoir discuter et déterminer les priorités, puis les élus devraient être là pour exécuter la volonté populaire.

Sinon, c’est accepter une vision du citoyen comme un être strictement guidé par ses pulsions, désirs, opinions, incapable de mener au bien de la cité, qui a besoin d’une élite pour le guider. Choisir qui décide, en fonction d’une liste d’épicerie, n’est pas un acte citoyen très exigeant. Et cela stimule l’égoïsme des citoyens puisque la principale façon qui leur est offerte pour influer sur le cours des choses, c’est de se tourner vers leur nombril et de sélectionner la liste de promesses qui les avantage le plus.

C’est malheureusement la vision démocratique que nous possédons depuis près de 250 ans. Je crois que le temps est venu de s’en doter d’une nouvelle.

Sans rêver à une démocratie utopique dérivée de l’agora athénienne de la Grèce antique, je pense qu’il y a place à une révision des processus démocratiques avec l’objectif de faire plus de place aux citoyens. Et, le niveau municipal est certainement le meilleur lieu pour le faire étant donné sa proximité naturelle avec les citoyens.

Par exemple, au niveau juridique, nous acceptons de faire confiance à des citoyens ordinaires pour décider de la culpabilité ou non d’individus accusés de divers crimes. Le jury est possiblement l’institution la plus authentiquement démocratique de notre société : des citoyens, choisis au hasard, à qui on donne la lourde responsabilité de trancher, au nom de la communauté, sur des questions très délicates.

Pourquoi ne pas importer cette idée au niveau municipal ? C’est-à-dire de former des comités de citoyens tirés au hasard afin d’étudier des dossiers importants et de formuler des recommandations aux élus. L’Islande a tenté l’expérience il y a quelques années pour écrire une nouvelle constitution. Malheureusement, les élus n’ont pas accepté celle-ci, parce que rien ne les y obligeait et parce que cette classe politique était la principale perdante de la constitution proposée. 

Il faudrait donc s’assurer qu’il y ait un caractère contraignant aux recommandations faites par ces comités de citoyens. Sinon, ce qui s’est passé en Islande et ce qui se passe avec une réforme des institutions démocratiques qui se butent à la partisanerie, tant au niveau provincial qu’au niveau fédéral, risque de rendre le tout bien inutile. 

Les élus qui ont profité d’un système démocratique injuste pour prendre le pouvoir n’auront pas tendance à vouloir que ce dit système change. C’est ce que nous voyons depuis plus de vingt ans avec les promesses non tenues par l’ensemble des partis politiques en ce qui concerne la réforme du mode de scrutin. Ce qui en dit aussi très long sur le sens moral de nos élus.

Bref, réfléchir aux processus démocratiques, c’est se poser ce genre de questions. L’idée du tirage au sort n’est qu’un exemple parmi bien d’autres. Et ce genre d’idées ou de questions sont souvent bien plus importantes au final que de savoir si on devrait ou non faire tel ou tel projet. Avec des processus plus démocratiques, les idées il y en aura et elles viendront plus directement des acteurs du milieu. Ce qui augmente leurs chances de se réaliser.

C’est un peu aussi ce qui ressort de la “saga pas dans ma cour”. S’il est vrai qu’à Rimouski une minorité bloque des projets pour des intérêts égoïstes, il est aussi vrai que certaines personnes ont tendance à simplifier et caricaturer toute critique comme étant issue d’un réflexe “pas dans ma cour”.

Dans un cas comme dans l’autre, c’est la vétusté des processus démocratiques qui me semblent en cause. Est-ce que tout projet du privé devrait être accepté sur la simple base qu’il constitue un un développement, investissement, une rentrée de taxes ? Quelle place les citoyens touchés, directement ou non, occupent-ils actuellement dans les processus d’analyse des projets ? Y a-t-il des lieux de discussion et, surtout, de prise de décision dans lesquels les citoyens ont un rôle prépondérant à jouer ? 

Dans une vision saine de la démocratie, l’acceptabilité sociale ne doit pas être forcée ou laissée au jeu de la manipulation par les firmes de relation publique. Elle doit être issue d’une discussion publique dans laquelle les citoyens sont investis.

À mon avis, une bonne partie du syndrome du “pas dans ma cour” vient de la faible discussion publique. Les guerres de clocher entre les apôtres du développement à tout vent et les “antis tout” sont stériles et illustrent surtout une conséquence de l’absence de lieux dans lesquels les citoyens de tout horizon peuvent échanger calmement pour déterminer ce qui est le mieux pour le bien de tous.

Bref, les prochains mois me semblent un moment idéal pour y aller d’une réelle réflexion sur les processus démocratiques que l’on souhaite pour notre ville et j’espère que ce débat ne sera pas celui d’une seule candidate, mais un enjeu majeur pour l’ensemble des candidats au poste de maire et pour ceux de conseillers municipaux.

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