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À Rimouski, les morts ont beaucoup voyagé ! Première Partie

Rimouski est une ville où les cimetières ont déménagé souvent. À lui seul, le cimetière de la paroisse Saint-Germain a changé d'emplacement à quatre reprises.
Cortège funèbre en 1890. La clôture blanche marque le coin nord-est du troisième cimetière St-Germain utilisé de 1889 à 1952. BAnQ, Fonds du Séminaire, Fonds Mgr Gagnon, boite 25-B1, enveloppe 308

Outre le cimetière de la paroisse Saint-Germain, ceux de Sacré-Cœur, Pointe-au-Père et Sainte-Odile ont tous déménagés. À ceux-là, il faut ajouter le cimetière des prêtres du Séminaire, les cimetières de trois communautés religieuses et les corps des défunts inhumés sous les différentes églises. Tous ces changements ont eu des conséquences fâcheuses; des dizaines de corps ont disparu sans laisser de traces ou presque… Nous allons tenter de démêler tout ça.

Le premier édifice religieux à Rimouski est une humble chapelle construite vers 1711 et peut-être même avant. Il y avait un cimetière attenant car un premier acte de sépulture daté du 13 janvier 1712 nous apprend que Jean Auger dit le Basque a été inhumé dans le cimetière « joint la chapelle du dit lieu ». L’emplacement exact de cette chapelle a donné lieu à bien des spéculations, mais dans un livre écrit en 1873, l’abbé Charles Guay affirme qu’elle se trouvait à « dix pieds au sud-ouest de l’ancien évêché, parallèlement au chemin. » L’ancien évêché dont il est ici question était une annexe du presbytère situé à côté de la cathédrale actuelle. Guay précise que le cimetière se situait au sud-ouest de la chapelle, à l’endroit où se trouve aujourd’hui l’arrière de la salle Desjardins-Télus. Guay puise ces informations dans les notes laissées par un ancien curé de Rimouski, Cyprien Tanguay, qui avait lui-même interrogé un vieux citoyen ayant bien connu la paroisse Saint-Germain au XVIIIe siècle, Charles Lepage (1753-1846). L’abbé Guay nous décrit également ce premier cimetière : « n’ayant pour clôture que des perches ordinaires de cèdre (…) il ne se distinguait des autres terrains que par une petite croix de bois noir ».

En 1784, la chapelle se trouve dans un état de délabrement très avancé. À la même époque, des Rimouskois coupent du bois pour construire une nouvelle église, mais aussitôt amorcés, les travaux cessent. L’historien Sylvain Gosselin nous dit dans le livre Rimouski depuis ses origines qu’une douzaine d’habitants refusent de poursuivre les travaux sans avoir reçu l’assurance d’avoir la possession gratuite d’un banc dans la future église. Cette affaire provoque la colère de l’évêque de Québec, Mgr Jean-Olivier Briand. Dans une lettre virulente, il rejette ces conditions et traite ces douze paroissiens de Saint-Germain d’impies et de scélérats. La chapelle est condamnée tout comme le premier cimetière. Un accord survient en 1787 avec l’évêque pour la construction d’une nouvelle église qui sera inaugurée en 1790. Entretemps, on utilise pour les offices la chapelle seigneuriale et on enterre les morts dans un cimetière provisoire aménagé près de la rivière Rimouski.

Ces corps seront exhumés en 1804 et transportés dans le premier cimetière. La fabrique St-Germain a versé un montant de 21 livres et 11 sols pour payer le transport des corps de l’ancienne chapelle seigneuriale. Le travail a été plus ou moins bien exécuté car on a découvert, en 1945, des ossements humains lors des travaux de prolongement de la rue Ste-Marie non loin de la rivière. Voilà donc nos premiers défunts déménagés.

La troisième église de Rimouski a été utilisée jusqu’en 1862. Cette photo date de 1881. BAnQ Rimouski, Fonds du Séminaire.

En plus du premier cimetière officiel, et du cimetière temporaire près de la rivière, des personnes ont été inhumées sous la première chapelle. Notons le seigneur René Lepage (4 août 1718), son père Germain Lepage (25 février 1723), Marie-Angélique Lepage, fille de René (2 avril 1729), Marie-Madeleine Gagnon, épouse de René Lepage (31 janvier 1744), Pierre Lepage, second seigneur (8 juillet 1754), Marguerite Lepage, fille de René (20 janvier 1756) et l’ermite Toussaint Cartier (30 janvier 1767). À ce jour, on ignore totalement ce qui est advenu de ces dépouilles.

Donc, en 1790, une église est érigée pour remplacer la chapelle. Longue de 70 pieds sur 28 de largeur et construite en colombage comme la maison Lamontagne, cette église est inaugurée le 19 juillet 1790 par Mgr Jean-François Hubert. Elle se trouve à peu près à l’emplacement de l’actuel Musée régional. Cette église sera remplacée en 1824 par une autre construite en pierre. C’est ce bâtiment qui abrite aujourd’hui le Musée régional. Entre 1854 et 1862 on construira à proximité de cette dernière une vaste église de pierre qui deviendra la cathédrale.

Le 10 juillet 1863, on assiste à la bénédiction du deuxième cimetière de Rimouski. Situé à l’ouest de l’actuelle cathédrale, il est limité du côté sud par le sommet du coteau où se trouve aujourd’hui le Palais de justice. Et comme la petite ville de Rimouski se développe assez rapidement dans le dernier tiers du 19e siècle, ce cimetière devient bientôt trop petit. Un troisième cimetière d’une superficie de deux arpents carrés est alors aménagé en 1889 du côté ouest de la rue de la Cathédrale, au sud de la voie ferrée. Pour vous permettre de mieux le situer, mentionnons que la piscine St-Germain, le restaurant Dixie Lee et la caserne des pompiers occupent aujourd’hui l’emplacement de ce troisième cimetière dont la bénédiction a lieu le 5 septembre 1890.

Évidemment, on a voulu procéder immédiatement au transfert de tous les corps inhumés dans le cimetière situé près de la cathédrale. L’autorisation d’exhumer les corps est obtenue rapidement, mais elle est aussitôt annulée en raison d’une procédure intentée en Cour supérieure par des citoyens. Il faudra attendre le 22 mai 1904, soit 14 ans plus tard, pour qu’une nouvelle autorisation soit accordée. Elle est immédiatement suivie par l’exhumation générale de tous les corps du deuxième cimetière. Or, des corps ou des parties de corps sont laissés sur place. Des fouilles archéologiques menées en 2003, préalablement à la   construction de la salle de spectacles Desjardins-Telus, ont permis de repérer plus de 104 sépultures. Pas moins de 39 squelettes étaient suffisamment complets pour permettre l’analyse des os ce qui a conduit les chercheurs à découvrir les caractéristiques anatomiques de ces personnes et même quelques pathologies. Après examen, les ossements ont été placés dans les Jardins commémoratifs Saint-Germain.

Mais dès la décennie 1920, le troisième cimetière de Rimouski dérange. Une femme dont la propriété se trouve dans le voisinage immédiat des épitaphes fait signer une requête pour réclamer le déménagement du cimetière en invoquant une raison d’hygiène publique. La dame fait notamment état d’odeurs pestilentielles. Les plaintes s’accumulent au fil des ans, non sans raisons, car dans la partie basse du cimetière, près de la rue Saint-Jean-Baptiste Ouest, une couche trop mince de terre recouvre les cercueils. En effet, la présence d’un cran de roche à cet endroit empêchait à l’époque de creuser à la profondeur souhaitée. Néanmoins, rien ne bouge jusqu’au premier janvier 1946. Ce jour-là, Mgr Georges Courchesne reçoit les citoyens à l’archevêché pour l’échange de vœux et il mentionne le projet de déménager le cimetière St-Germain une autre fois. Dans les journaux, des citoyens écrivent pour approuver cette initiative. Dans le Progrès du Golfe du 15 mars 1946 on peut lire : « Il est certain que tôt ou tard cet obstacle qui paralyse le progrès de la cité, son expansion normale, l’accroissement de sa population, devra disparaître et disparaîtra quoi qu’il en coûte ». Bref, les défunts dérangent…

Monument commémoratif au cimetière Rimouski

Une assemblée des paroissiens est d’ailleurs convoquée pour le 14 avril suivant. À cette occasion, le curé de la cathédrale, l’abbé Camille Michaud, révèle que la fabrique St-Germain peut compter sur un terrain offert gratuitement par le Séminaire pour aménager le quatrième cimetière. Le terrain proposé se trouve beaucoup plus au sud, au pied de la côte du 2e Rang, soit grosso modo à l’emplacement de l’actuelle rue de la Normandie. Toutefois, le 25 avril 1946, la fabrique Saint-Germain-de-Rimouski fait l’acquisition d’un terrain des Sœurs du Saint-Rosaire pour la somme de 5 000 $. Il est situé rue Saint-Jean-Baptiste Est, entre le juvénat des Frères du Sacré-Cœur et le monastère des Ursulines. C’est en 1951 que l’on construit un charnier et un muret de pierre le long de la rue Saint-Jean-Baptiste. En 1952, on procède à l’exhumation de quelques centaines de corps de l’ancien cimetière et leur transfert vers le nouveau. Encore une fois, le travail est bâclé. Bien des années plus tard, lors des travaux d’excavation pour la construction du restaurant Dixie Lee, des témoins se souviennent avoir vu dans les déblais, des morceaux de cercueil et des ossements.

La suite de cette chronique sera en ligne le 6 avril sur le site du journal le soir.

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