À Rimouski, les morts ont beaucoup voyagé ! Partie 2
Rimouski est une ville où les cimetières ont déménagé souvent. Voici la suite de cette histoire.Les corps dans les églises
On appelle inhumation ad sanctos, une pratique qui consiste à enterrer des corps sous le plancher des églises. Comme nous l’avons vu avec les membres de la famille de René Lepage, ce type d’inhumation à Rimouski remonte aussi loin qu’en 1718. La chose n’est pas réservée qu’à l’élite et tous pouvaient s’en prévaloir bien que le coût d’une telle inhumation était au moins trois fois plus élevé qu’au cimetière. Cette pratique est relancée avec l’ouverture en 1824 de la première église de pierre, l’actuel Musée régional. En mai 1846, le curé de St-Germain, Thomas-Ferruce Picard-Destroimaisons, procède à l’inhumation de sa mère, Rosalie Fournier, dans l’église. À partir de ce moment et jusqu’en 1860, vingt personnes seront ainsi inhumées dans l’église.
Lorsque la quatrième église qui deviendra la cathédrale est ouverte au culte en 1862, les vingt dépouilles inhumées dans la troisième église sont exhumées puis transportées dans la future cathédrale et placées sous le plancher de la chapelle du baptistère. L’acte d’inhumation est daté du 14 août 1862. Les inhumations ad sanctos se poursuivront jusqu’en 1916. En tout 65 personnes, dont plusieurs enfants, ont été inhumés sous la cathédrale. Une liste comprenant tous les noms se trouve dans le livre La cathédrale de Rimouski, parcours, mémoires, récits, publié en 2017.
Au nombre de ces 65 personnes inhumées sous la cathédrale, on note un certain nombre de membres du clergé dont les corps sont placés sous le plancher du chœur. Certains d’entre eux auront un dernier repos assez mouvementé. Lors des travaux d’agrandissement de la cathédrale en 1902-1903, huit religieux parmi lesquels le premier évêque, Mgr Jean Langevin, son frère et vicaire général, Mgr Edmond Langevin et les curés Joseph Octave Simard et Charles Godefroi Gaudin sont transportés sous le nouveau chœur. Vers 1948, autre déménagement. À cette époque, le sous-sol de la sacristie est excavé en partie pour offrir un repos plus convenable aux ecclésiastiques qui gisaient sous le chœur dans des conditions irrespectueuses, nous dit l’auteur Nicolas Beaudry dans le livre La cathédrale de Rimouski, parcours, mémoires, récits. On voulait notamment préparer un emplacement convenable pour inhumer l’archevêque de Rimouski, Mgr Georges Courchesne. Or, à son décès en 1950, ce dernier indique qu’il souhaite plutôt être inhumé dans le nouveau cimetière rue Saint-Jean Baptiste Est. Les Rimouskois avaient certaines réticences à utiliser cet emplacement et Mgr Courchesne voulait ainsi donner l’exemple. Quoiqu’il en soit, en 1967, les corps des huit ecclésiastiques déjà inhumés dans la cathédrale sont exhumés encore une fois et transportés aux Jardins commémoratifs Saint-Germain, rue Saint-Jean-Baptiste Est. On ignore le sort réservé aux restes des 57 autres personnes ensevelies dans la cathédrale. Une chose est certaine, lors de fouilles menées en 2015, l’archéologue Nicolas Beaudry a localisé de nombreux ossements disséminés dans tout le sous-sol de l’édifice.
Le cimetière du Séminaire
Dans un boisé situé au sud du Petit Séminaire que les Rimouskois appelaient le Bocage, se trouvaient une chapelle et un cimetière à l’usage des prêtres et des bienfaiteurs de cette grande maison d’enseignement. La chapelle fut bénie le 27 septembre 1923. Les 58 corps inhumées au cours des années qui suivirent furent exhumés et déménagés discrètement au cimetière de Rimouski en octobre 1985. Il faut dire que dans les mois précédents, plusieurs actes de vandalisme avaient été commis dans ce cimetière. Des pierres tombales sont renversées tandis que d’autres stèles sont réduites en morceaux. Après le déménagement, le terrain est nivelé et le Bocage vendu pour des développements résidentiels et commerciaux, ce qui a entraîné la disparition de la chapelle. Parmi les prêtes qui croyaient bien reposer en paix dans ce coin champêtre de la ville, on note Mgr Charles-Alphonse Carbonneau, vicaire général du diocèse en 1923, Mgr Samuel Langis, éminent pédagogue et directeur du Grand Séminaire, et le chanoine Fortunat Charron, professeur et supérieur du Petit Séminaire de 1918 à 1924 et de 1927 à 1932. Aux Jardins commémoratifs Saint-Germain, une seule pierre tombale porte tous les noms.
Les communautés religieuses
Lorsque l’UQAR prend possession du monastère des Ursulines en 1969, ces dernières s’installent dans un nouveau bâtiment mais elles déménagent aussi leur cimetière. En 1971, les corps de 17 religieuses inhumées près de l’ancien monastère sont ainsi transportées dans le cimetière Saint-Germain. Il en va de même pour la dépouille du deuxième évêque de Rimouski, Mgr André-Albert Blais qui est exhumé le 4 octobre 1971. Responsable de la venue des Ursulines de Québec à Rimouski en 1906, Mgr Blais était également le bienfaiteur de la communauté. À son décès survenu en 1919, il avait choisi d’être mis en terre dans le cimetière des Ursulines.
À l’été 2009, après 91 années de présence à Rimouski, les Sœurs Servantes de Jésus-Marie quittent définitivement leur monastère du quartier Nazareth pour regagner la maison mère de Gatineau. Mais les religieuses ramènent avec elles leurs consœurs décédées. Le 24 août 2009, on commence l’exhumation dans le cimetière situé derrière le monastère de la rue La Salle, des corps des 21 religieuses qui entreprennent ensuite un long voyage vers Gatineau. Les corps de quelques aumôniers du monastère sont également exhumés puis transportés aux Jardins commémoratifs Saint-Germain.
Les Sœurs de Notre-Dame du Saint-Rosaire ont également procédé au déménagement de leur cimetière qui se trouvait tout près du monastère. Au total, 653 religieuses ont été déplacées vers les Jardins commémoratifs Saint-Germain. L’exhumation des corps a commencé le 1er septembre 2014 et s’est terminé le 14 octobre suivant. Aujourd’hui, elles reposent dans un coin du cimetière à l’ombre d’une rangée de grands arbres. Toutes les pierres tombales sont identiques et blanches. Au milieu du site on peut voir une statue de la Vierge, toute blanche également.
Pointe-au-Père
À Pointe-au-Père, on a procédé au déménagement complet du cimetière paroissial à deux reprises. Dans cette paroisse, un premier cimetière est aménagé en 1882. Il n’est pas bien grand car ses dimensions sont de 24 mètres sur 24 mètres. Un problème survient en 1902 lorsque trois résidents se plaignent que le cimetière contamine leurs puits d’eau potable. Le Conseil d’hygiène de la province délègue des enquêteurs, mais de toute évidence, les choses trainent en longueur. Ainsi, de 1910 à 1914, les syndics et le curé cherchent un nouvel emplacement. Finalement, en 1914, le Conseil d’hygiène approuve le nouveau terrain situé à un peu plus de 130 mètres au sud de l’église. Les corps inhumés dans le premier cimetière entre 1882 et 1914, ne seront déménagés qu’en octobre 1920 dans le deuxième cimetière. C’est un thanatologue de Saint-Anaclet, Louis Julien, qui exécute ce contrat pour la somme de 575 $ sous la surveillance d’Henri Lavoie.
À la fin de la décennie 1950, la population de Pointe-au-Père s’accroit à un rythme accéléré et le deuxième cimetière se révèle trop petit. L’archevêché accorde la permission d’ériger un nouveau cimetière le 16 janvier 1963 et dans les mois suivants, un terrain, borné à l’est par l’avenue Père-Nouvel Sud est délimité. Les monuments funéraires sont déménagés en juillet 1964 et les corps sont exhumés sur une période de trois semaines en mai 1965. En tout, les restes de 327 corps sont transportés par quatre ou cinq adolescents, sous la supervision de monsieur Adrien Martin. Aucune protection ou mesures hygiéniques n’ont été appliquées pour protéger ces travailleurs. Un avis paru dans le Progrès du Golfe prévient que tous les corps qui n’auront pas été réclamés avant le transport seront inhumés dans une fosse commune.
Sacré-Cœur
Aménagé après la construction de l’église en 1878, le premier cimetière de la paroisse occupait l’espace qui correspond aujourd’hui au stationnement du côté sud de l’édifice. Le 4 novembre 1964, l’archevêché émet un décret autorisant l’aménagement d’un nouveau cimetière sur un terrain situé à un kilomètre plus au sud soit à l’intersection de la rue Lausanne et de la Montée des Saules. Une manchette dans l’édition du Progrès du Golfe du 26 novembre 1965, nous apprend le déménagement prochain du cimetière de la paroisse Notre-Dame-du-Sacré-Cœur. C’est vraisemblablement à l’été 1966 que les corps ont été déménagés.
Sainte-Odile
Le 18 mai 1941, Mgr Georges Courchesne émet le décret permettant l’aménagement d’un cimetière dans cette paroisse. La fabrique achète de monsieur Albert Parent, un terrain situé au bord de la rivière et d’une superficie de 150 pieds sur 200 pieds. Six ans plus tard, les administrateurs de la paroisse jugent l’emplacement inapproprié. En effet, il est impossible d’agrandir ce cimetière, le sol composé de gravier est difficile à creuser et surtout, le chemin d’accès est quasi impossible à entretenir en hiver. En septembre 1947, la fabrique procède à l’acquisition d’un terrain plus vaste situé en bordure de la Montée Sainte-Odile et l’évêché émet le décret d’érection du nouveau cimetière le 13 octobre 1947. Le 1er mai 1950, on procède à l’exhumation des corps de 39 adultes et de 28 enfants, inhumés près de la rivière entre 1941 et 1947, avant de les déposer dans le nouveau cimetière.
Mère Turgeon
Une dépouille déplacée à plusieurs reprises est celle de la pauvre Élisabeth Turgeon. À son décès survenu le 17 août 1881, la fondatrice des Sœurs de Notre-Dame du Saint-Rosaire a d’abord été inhumée dans le cimetière Saint-Germain tout près de la cathédrale. La dépouille de la religieuse sera exhumée à trois reprises dont la dernière en 1955. Les restes d’Élisabeth Turgeon sont alors déposés dans la salle dite « du Tombeau », à l’intérieur de la maison-mère des Sœurs du Saint-Rosaire. Comme le monastère est à vendre, doit-on s’attendre à ce que Mère Turgeon soit déplacée encore une fois ? Au moment d’écrire ces lignes, la décision n’est pas encore prise.
Bref, compte tenu de tous ces déménagements de cimetières à Rimouski, du grand nombre de dépouilles « oubliées » en cours de route et des preuves archéologiques fournies notamment par les fouilles sur le site de la salle de spectacles Desjardins-Télus, on peut affirmer que dans le jardin commémoratif Saint-Germain, il y a de vieilles pierres tombales sous lesquelles il n’y a aucun corps. On doit également conclure qu’un grand nombre de défunts à Rimouski ont connu un dernier repos plutôt mouvementé.