Un traversier nommé Manic
En 1967, un traversier appelé Le Manic, est mis en service entre Pointe-au-Père et la Côte-Nord.Ce nouveau navire vient remplacer le traversier géant Père-Nouvel vendu en 1967 pour des raisons mentionnées dans un article précédent. (Voir le texte intitulé Le jour où le Père-Nouvel a coulé sur le site du journal le soir).
Le 7 août 1967, la compagnie de navigation Nord-Sud achète donc en Suède un nouveau navire qui a pour nom Apollo. Construit en 1964, l’Apollo est un petit traversier brise-glaces de 13,5 de largeur et de 63 m de longueur pouvant transporter 250 passagers et 45 automobiles comparativement à 150 voitures pour le Père-Nouvel. Le plan initial consiste à relier le quai de Pointe-au-Père et la Pointe-à-Michel, un endroit situé à mi-chemin entre Colombier et Ragueneau. On vise une traversée moins longue que celle qui était effectuée par le Père-Nouvel entre Pointe-au-Père et Baie-Comeau. Cette traversée durait trois heures et on croit que le Manic atteindra la Pointe-à-Michel en 90 minutes.
Une traversée houleuse
À l’automne 1967, le président de la compagnie de navigation Nord-Sud, le rimouskois Roméo Crevier, confie au directeur de son terminal de Pointe-au-Père, Hormidas Trépanier, le soin de réunir un équipage et de se rendre en Suède pour prendre possession de l’Apollo afin de le ramener à Rimouski. Monsieur Trépanier est porteur d’un chèque couvrant la balance du prix de vente.
La traversée entre la Suède et Rimouski est éprouvante. De terribles tempêtes se succèdent dans l’Atlantique Nord et le navire, sujet au roulis en raison de sa faible largeur, est ballotté par des vagues gigantesques. L’Apollo va mettre 19 jours à rallier le quai de Rimouski. C’est tout dire quand on sait que Samuel de Champlain a réussi une traversée à la voile en 21 jours avec un navire peu performant du 17e siècle !
À son retour, monsieur Trépanier raconte à sa famille qu’à certains moments, les marins ont dû s’attacher à la structure du navire. Des membres de l’équipage promettent même de donner leur paie à des œuvres de charité s’ils s’en sortent vivants… L’Apollo arrive finalement au quai de Rimouski-Est. Renommé le Manic, il est inauguré le 3 décembre 1967 par le ministre des Transports du Québec, Fernand Lizotte, devant quelques centaines d’invités. Le président Roméo Crevier souligne que le Manic devient le seul brise-glaces moderne en service d’une rive à l’autre à longueur d’année.
Des pépins
Un premier ennui survient le 5 janvier 1968. Par un froid sibérien, le Manic demeure immobilisé par les glaces à 100 mètres du quai de Pointe-au-Père. Il faudra un peu plus de 48 heures pour dégager le traversier de sa fâcheuse position et enfin permettre aux passagers de descendre.
Par ailleurs, les choses s’annoncent plutôt mal car la construction d’un débarcadère à la Pointe-à-Michel ne se concrétise pas. Le Manic amorce donc son service en plein hiver entre Pointe-au-Père et Baie-Comeau. Les mois passent et le dossier du débarcadère de la Pointe-à-Michel demeure au point mort. En avril 1968, la compagnie de navigation Nord-Sud fait savoir qu’elle renonce à ce projet et qu’on se tourne vers le quai de Forestville qui, avec quelques aménagements, sera en mesure de recevoir le traversier. La traversée inaugurale entre Pointe-au-Père et Forestville se déroule durant la dernière semaine du mois d’août 1968. Entre-temps, la compagnie a perdu beaucoup d’argent. Pendant neuf mois, le bateau a fait la navette entre Pointe-au-Père et Baie-Comeau. Ce trajet trop long, couteux en carburant, limite aussi le nombre de voyages quotidiens et du coup, le nombre de véhicules et de passagers transportés.
Un autre incident survient à la fin du mois de juillet 1968 lorsque le Manic s’échoue à quelques dizaines de mètres du quai de Pointe-au-Père. Le traversier perd son gouvernail et ne pourra reprendre du service que le 8 août.
La fin
Dès 1968, des voix s’élèvent pour critiquer le service offert par le Manic. La première salve est tirée par l’Association des voyageurs professionnels de commerce. Son président, Claude Bédard, écrit au ministère des Transports à Ottawa et au député de Rimouski à Québec, Maurice Tessier, pour dénoncer la piètre qualité de la desserte proposée par le Manic. Monsieur Bédard estime que la compagnie de navigation Nord-Sud ne remplit pas ses promesses notamment en ce qui a trait à la fréquence du service. On critique également la faible capacité du navire.
Le Manic est resté en service entre Pointe-au-Père et Forestville jusqu’à l’automne 1970. La compagnie de navigation Nord-Sud vend alors son bateau à la Société des traversiers du Québec qui l’affecte quelques mois à la traverse Matane-Côte-Nord. En 1971, la Société des traversiers cède le Manic à la Coopérative de Transport Maritime et Aérien des Îles-de-la-Madeleine, la C.T.M.A. Le Manic est le tout premier traversier pour voitures de la coopérative. Il entreprend la navette entre Cap-aux-Meules et Souris à l’Île-du-Prince-Édouard. Cette desserte lance véritablement l’industrie touristique aux Îles-de-la-Madeleine. Toutefois, le 12 septembre 1973, le Conseil de comté des Îles recommande à la Commission canadienne des Transports et au ministère des Transports que le Manic soit remplacé par le Lucy Maud Montgomery alors en service à Terre-Neuve. On souhaite un navire plus gros et mieux équipé pour affronter les tempêtes du Golfe Saint-Laurent. La recommandation sera acceptée en 1975. Le Manic est alors vendu à une entreprise exploitant des traversiers en Grèce. Tout comme son prédécesseur, le Père-Nouvel, il sera finalement perdu en mer.