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On ne devrait pas souhaiter sa venue…

Costco : viendra, viendra pas ?
Source : journal Le Nouvelliste

La venue ou non d’un magasin Costco fait les manchettes presque chaque semaine dans la dernière année et constitue un enjeu qui soulève les passions chez les citoyens. On a qu’à consulter les commentaires en-dessous des nouvelles publiées sur le sujet pour le constater.

D’emblée, je ne ferai pas de cachettes : je ne souhaite pas la venue de ce magasin à Rimouski, pas plus que je n’aurais souhaité la venue de Walmart ou d’autres grandes chaînes de ce type.

N’étant ni économiste, ni urbaniste, je me contenterai de l’angle philosophique de cette question. 

À mon sens, la venue d’un magasin Costco présente certains problèmes quant aux notions de justice, de bonheur et de responsabilité.

Une vision “myope” de la justice

“Agir envers les autres de la même manière que nous souhaiterions qu’ils agissent envers nous-mêmes”. Il s’agit d’un principe moral assez élémentaire. Ce que l’on nomme le principe de réciprocité. Il est plutôt difficile d’imaginer une société juste dans laquelle ce principe n’existe pas.

Or, si Costco prétend offrir à ses employés des salaires et des conditions qui dépassent ceux de ses compétiteurs, il n’en demeure pas moins que son modèle d’affaires repose sur l’existence de milliers de personnes devant travailler dans des conditions difficiles, voire miséreuses, dans des pays en développement.

Un chandail fait au Bangladesh coûte moins cher, mais il a plus souvent qu’autrement été fabriqué dans une manufacture qui ne respecte pas des normes minimales de construction pouvant assurer la sécurité des travailleurs et ces mêmes travailleurs n’obtiennent pas un salaire qui leur permet de sortir de l’indigence.

Ce qui est loin de nos yeux compte moins pour nous. Ainsi, la logique derrière notre recherche des petits prix est plutôt coûteuse sur notre vision d’un monde plus juste… 

Une vision problématique du bonheur

Dès les premiers pas de la conjonction entre l’économie capitaliste et ce que nous appelons aujourd’hui des démocraties, un glissement s’est opéré sur la signification du bonheur. Nous avons commencé à assimiler la notion de plaisir à celle de bonheur.

Dès le 18e siècle, on a vu le courant utilitariste prendre beaucoup d’ampleur tant sur le plan moral que sur les plans politique et économique. La conception du “bonheur” qui guidait les choix : maximiser les plaisirs, minimiser les souffrances, pour le plus grand nombre.

L’idée était de mettre de l’avant une vision du bonheur en société qui perdrait de sa subjectivité en utilisant quelque chose de quantifiable : les plaisirs.

Le système capitaliste n’aurait pas pu trouver mieux. Les plaisirs ont l’avantage de se traduire en une pléthore de produits de consommation. C’est à partir des années 1920 que la consommation a commencé à prendre l’élan qu’on lui connaît actuellement. Le marketing s’est transformé à cette époque : au lieu d’être orienté sur les produits, on l’a orienté sur le mode de vie. Autrement dit, on ne vend plus des produits, mais une façon de conduire sa vie.

Dans les 10 dernières années cependant, les recherches sur le cerveau humain viennent bousculer cette conception du bonheur. Pour résumer rapidement ces nouvelles données, le bonheur étant un état plus durable, mais non permanent, il ne convient pas au caractère éphémère des plaisirs ressentis. 

L’état de bonheur dans le cerveau est plutôt une « tranquillité », soit un état qui n’est ni dans l’extase ni dans le manque. L’orientation vers les plaisirs est un élément déstabilisant : il mène à la quête du plaisir, puis à un manque. Selon plusieurs chercheurs, les stoïciens et les bouddhistes ont développé des disciplines intellectuelles et morales qui nous rapprochent beaucoup plus du réel bonheur que la société de consommation.

Bref, la consommation de masse, la course aux rabais, la surconsommation et la rapidité d’approvisionnement ne sont pas des éléments qui facilitent le bonheur, bien au contraire.

La responsabilité envers les générations futures

Enfin, le point le plus évident, c’est une idée que nous a amenée le philosophe Hans Jonas : la responsabilité envers les générations futures. La responsabilité origine de la liberté : si je suis libre, je suis responsable de ce que je deviens, de même que de mes actions.

Plus notre pouvoir est grand, plus cette responsabilité est grande. L’humain a acquis au cours des derniers siècles un pouvoir quasi divin sur le monde. Il porte donc une lourde responsabilité sur ce que le monde est devenu et aussi sur ce qu’il deviendra.

Bien entendu, le pouvoir n’est pas réparti également chez tous les humains et cette responsabilité fluctue également. Ceci dit, mes choix de consommation font partie de mon champ d’action et relèvent de ma responsabilité.

L’état des écosystèmes actuels, les risques d’un effondrement de la biodiversité et, bien entendu, les risques posés par les changements climatiques, reposent en grande partie sur cette société de consommation que nous contribuons chaque jour à faire vivre, à divers degrés. 

Nous avons donc, selon Jonas, une responsabilité envers les générations futures afin qu’ils puissent vivre dans un monde au moins aussi bien que celui dans lequel nous avons eu la chance de vivre.

La venue d’un Costco n’est pas une bonne chose en ce sens, car cela ne change pas ce qui nous met dans le pétrin, cela continue dans le même sens. Et c’est un manquement à notre responsabilité envers les générations futures.

Conclusion

La venue ou non d’un Costco à Rimouski est une décision commerciale qui est entre les mains des dirigeants de cette entreprise. Au minimum, je souhaite que la ville ne facilite pas son installation par des congés de taxes ou d’autres aménagements. Au mieux, il serait peut-être bien que le règlement d’urbanisme de la ville permette de s’assurer d’un futur qui tient réellement compte des enjeux cruciaux pour notre avenir et pour celui de nos enfants. 

Le prochain rapport du GIEC recommandera d’ailleurs, pour la première fois, d’embarquer dans la décroissance afin de nous donner une chance en tant qu’humanité de vivre au-delà du prochain siècle. (1) En ce sens, est-ce réellement une bonne vision pour l’avenir de Rimouski que d’espérer l’arrivée d’une telle entreprise ?

Source

André Noël. Un rapport inédit du GIEC prône la décroissance pour prévenir la catastrophe climatique, Le Ricochet,  ​​https://ricochet.media/fr/3780/un-rapport-inedit-du-giec-propose-la-decroissance, consulté le 20-09-21.

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