Conte du Bas Saint-Laurent
Georgette Renaud et Daniel Projean de la Porte ouverte sur les mots présentent pour le mois de février, un conte de la région, « La cinquième église », extrait du livre « Si Trois –Pistoles m’était conté et autres fariboles », de l’auteur Michel Leblond, paru aux Éditions Trois-Pistoles, 2004.
« La cinquième église »
C’est l’histoire des trois frères. Théodule, Théophile pis Théodore, qui travaillent à la construction de la cinquième église de Trois-Pistoles. Ça fait des jours et des jours qu’ils transportent des pierres du soir au matin pis le travail avance pas vite. Un bon matin, Théophile demande à Théodore si il n’y aurait pas un moyen de faire avancer la construction un peu plus rapidement parce que la saison s’en va pis le frette s’en vient. Théodore de répondre :
– Y a ben le cheval du curé qui pourrait nous aider, mais y paraît que c’est le diable en personne, ce qui fait que c’est peut-être pas indiqué de mêler le Malin aux affaires d’église.
Mon Théodule, qui les écoute parler, s’avance pis de leur dire :
– Vous avez raison, tout ça a assez duré. J’ai un moyen pour terminer la construction, mais je ne peux pas vous en parler.
Théophile pis Théodore le pressent de questions. Mais notre grand échalote de Théodule – je dis échalote parce qu’il était grand, y avait le teint vert pis y sentait fort -, donc notre grande échalote de répondre :
– Posez-moi pas de questions. Finissons notre journée pis dimanche après la messe, on se retrouve sur le chantier.
Nos deux bonhommes pas trop contents, parce qu’il fallait surtout finir la journée, cessent de poser des questions et attendent le dimanche. En passant, vous trouvez peut-être ça bizarre que je parle que Théodule va à la messe pendant que je vous conte qu’ils sont en train de construire une église. Ben, c’est normal puisqu’ils construisent la cinquième église pis que la quatrième sert encore. Y a déjà eu trois églises en même temps à Trois-Pistoles, mais ça c’est une autre histoire. Reprenons plutôt le cours de la mienne.
La messe passée, le dimanche suivant, Théophile pis Théodore arrivent sur le chantier pour attendre notre grande asperge de Théodule. Je dis asperge parce qu’il était encore ben droit, le teint encore vert, mais y sentait moins fort parce qu’il avait pris son bain le samedi précédent.
Toujours est-il que Théodule arrive sur le sentier endimanché jusqu’aux oreilles. En voyant nos deux compères, Théodule leur demande :
– C’est quoi qui vous plairait le plus aujourd’hui?
Théophile de répondre :
– Que l’église soit construite.
– Pis l’intérieur fini, d’ajouter Théodore.
– C’est beau de même, de dire Théodule. Gardez ça en mémoire pis oubliez-le jamais. Votre vie peut en dépendre.
Les deux frères un peu éberlués devant tant de mystère ont pas le temps de poser une question que Théodule tombe dans une sorte de transe. Y se met à trembler pis de dire toutes sortes de choses que les deux autres comprennent pas. Tout d’un coup, il s’écrie :
– Écoute ma voix et amène-toi!
Un éclair fend le ciel pis un curieux bonhomme apparaît. Genre de mélange de vendeur d’assurance et de vendeur de publicité TV. C’est sûr que nos trois bonhommes remarquent pas trop ça parce que la TV existe pas encore pis les seuls qui font du porte à porte dans ce temps-là, c’est les quêteux. Toujours est-il que le curieux personnage prend la parole :
– Qui ose me déranger par cet après-midi ensoleillé, surtout que c’est congé? T’es mieux d’avoir une bonne raison car tu pourrais passer de vie à trépas. On a .beau être le diable, on a quand même droit à une journée de congé. Théodule, un peu énervé, se met à parler :
– Moi pis mes deux frères, on s’obstinait sur une affaire. Moi je suis convaincu que tu peux faire n’importe quoi, même les choses les plus impossibles. Mais mes deux frères me croient pas. Je leur ai dit que la meilleure façon de le savoir, c’est de te demander en personne si c’est vrai.
– Imbécile! Me déranger pour si peu! Oui, je peux réaliser l’impossible et même que pour apaiser ma colère, je vais vous en faire profiter. Mais attention! Si je réalise vos demandes, vous m’accompagnez dans les flammes éternelles. Sinon, et ce serait surprenant, vous vous en sauverez et je disparaîtrai. Que le premier s’approche et fasse sa demande.
Théodule fait signe à Théophile qui s’avance, tout tremblant.
– Ça fait des mois qu’on travaille à la construction d’une église pis on voit pas l’heure de finir. J’aimerais que tu termines la construction en moins de cinq minutes. Et tant qu’à y être, pourquoi pas en faire une des plus belles de la région!
Le malin se mit à rire.
– Si tu penses qu’un temple, même s’il incarne le bien, peut m’arrêter!…
En disant ça, le diable claque des doigts pis à la place du chantier apparaît la plus belle église jamais construite dans le Bas St-Laurent.
– Une âme pour moi, dit le Malin. À qui le tour de m’accompagner pour l’éternité?
Théodore s’avance, pas trop sûr de lui :
– C’est ben beau, mais il faut finir l’intérieur, mettre des bancs, une chaire pis de la décoration.
– Tu crois encore me faire peur en agissant sur des choses qui d’habitude me font fuir? Tu es dans l’erreur, car ces choses que tu me demandes ne sont pas encore bénies. Elles ne m’affectent donc pas. Entre à l’intérieur et regarde! Dit le Malin en claquant des doigts.
Les deux frères entrent dans l’église pis constatent que Belzébuth a réalisé l’impossible. Une nef majestueuse, des bancs magnifiques, des colonnes innombrables, un orgue avec un son que même Bach en perdrait ses bottines pis un décor à couper le souffle.
– Une autre âme pour moi, dit le Malin en ricanant.
Et regardant Théodule, il dit :
– Et toi, que veux-tu?
Théodule s’avance vers Satan.
-Si tu réalises pas mon souhait, tu vas ne redonner mes deux frères pis disparaître aussitôt.
– C’est ce qui est convenu, mais fais vite, car ma patience a des limites. À part ça, des tâches vous attendent en enfer pour m’avoir tant dérangé.
Mon Théodule s’approche du diable, se retourne pis pousse un gaz épouvantable en disant :
– Attrape-le pis fais un nœud dedans si t’es capable!
Le diable un peu éberlué a juste le temps de sentir l’odeur lui passer en dessous du nez. Fou de rage, il s’envole, mais tellement choqué qu’il ne voit plus clair. Il rentre dans le mur de l’église et casse une pierre. Il se revire de bord et disparaît, non sans avoir laissé tomber les deux frères de Théodule. Fier de son coup, Théodule s’adresse à eux dans ces termes :
– Relevez-vous pis soyez en forme, car demain y nous reste un trou à boucher!
C’est depuis ce temps-là qu’à Trois-Pistoles on possède une des plus belles églises du Bas-St-Laurent et qu’il manque une pierre dessus.