« La légende du quêteux »
(NDLR: Georgette Renaud et Daniel Projean de la Porte ouverte sur les mots présentent pour ce mois de juin une autre légende de la région. Il s’agit de « La légende du quêteux », un extrait du livre « Si Trois-Pistole m’était conté », par Michel Leblond Éditeur TROIS PISTOLES)
Vous savez comment les Rioux sont entêtés et chicaniers, probablement que les Leblond le sont aussi, mais comme les Rioux étaient de grands seigneurs, ils ont hérité de la notoriété. Quand on est célèbre, il faut prendre les fleurs, pis le pot qui vient avec. Aujourd’hui, les Rioux ne se chicanent plus avec le Diable, mais avec un X. Rioux avec un X ou pas de X. C’est un peu grâce à eux autres que le gouvernement a décidé de permettre les croix pis les crochets sur le bulletin de vote parce qu’à l’époque où on ne faisait qu’un X sur notre bulletin, y a une partie des Rioux qui en était ben fière pis une autre qui allait pas voter.
Ça m’amène à vous conter une autre belle légende pistoloise. Belle parce qu’on n’est pas sûr si c’est une légende ou un fait vécu. Probablement que c’est mieux que ça soit une légende parce qu’une légende reste dans la mémoire tandis que la vérité se perd dans la nuit des temps.
À une certaine époque, les villages étaient visités par des êtres exraordinaires. Mi-hommes, mi-diables. Diables parce qu’ils faisaient peur, ou du moins on nous disait d’en avoir peur. La plupart étaient seulement des vagabonds qui préféraient parcourir les chemins tout en restant libres. C’était la plupart du temps les philosophes de l’époque. Certains jouaient d’un instrument, généralement de la musique à bouche. Ça prend moins de place dans un baluchon qu’un piano à queue. D’autres contaient des histoires puisées à même leurs aventures ou en inventaient afin de charmer leur auditoire, ce qui leur assurait souvent gîte et couvert.
Beaucoup de maisons avaient ce qu’on appelle le banc du quêteux. Après une bonne soupe, le quêteux s’allongeait là pour la nuit. Mon histoire est l’une d’un quéqu’un de même qui parcourait les rangs de Trois-Pistoles à la recherche d’un peu de chaleur et d’un peu de nourriture. Je peux pas vous révéler en quelle année, mais je peux vous dire que c’est au mois d’août que ça s’est passé. La plupart des habitants sont à l’ouvrage ou encore se préparent pour la chasse d’automne. C’est pourquoi les portes sont closes et les réponses négatives.
– Passe ton chemin, guénilloux! Tu viendras pas salir mon plancher!
Y faut dire que la température n’est pas clémente et que le ciel déverse son trop-plein de larmes. Comme notre quêteux est couetté et crotté, plusieurs ne veulent pas le laisser entrer. Il parcourt ainsi chaque maison à la recheche d’un peu d’argent ou d’un abri. Il n’en demande pas tant, une étable lui aurait suffi. Il arrive finalement au bout du deuxièment rang. Y a là la dernière maison. Le quêteux espère que les habitants seront plus cléments parce que sinon, rebrousser chemin ou encore dormir dans le bois. Il frappe à la porte et une dame lui répond.
– La charité, ma bonne dame, et Dieu vous le rendra.
– C’est que mon mari est absent et je n’ai pas d’argent.
– Au moins une place pour dormir pour la nuit, Un abri pour me protéger de la pluie.
La bonne dame un peu craintive se prit de pitié pour le quêteux dont c’était probablement la dernière chance pour lui de trouver un peu de chaleur avant de repartir sur les grands chemins. Réticente, elle lui ouvre tout de même sa porte et l’exhorte de ne pas faire de bruit. Voulant le mettre en garde, elle lui dit que son mari ne devrait pas tarder. Notre quêteux s’installe pendant que la dame lui prépare une bonne soupe chaude et un croûton de pain. Notre quêteux mange avec appétit, pis une fois rassasié., lui raconte ses aventures. Pour pas réveiller les enfants, il laisse tomber l’harmonica, mais il invite la bonne dame de s’asseoir et lui de narrer une histoire des plus incroyables :
– Si vous allez au bout du bois l’année prochaine, vous trouverez un trésor. Mais avant de continuer, j’aurais besoin d’une bonne hache.
Un peu apeurée, la femme demande pourquoi une hache en pensant au pire : y faut toujours payer pour de l’argent gagné trop facilement. Aussi réplique-t-elle en songeant à la sécurité de ses enfants et à la sienne :
– Non, laisser faire : J’en veux pas.
– Ayez pas peur. C’est seulement pour couper ça que dit le dit le quêteux en sortant une cenne de sa poche. Parce qu’il faut la moitié de cette cenne-là pour avoir accès au trésor. Sinon, vous irez dans le bois pour rien.
Elle lui répond qu’il commence à se faire tard pis qu’on pourrait remettre l’affaire au lendemain. En y disant merci, le quêteux s’installe sur le banc près de la porte pour la nuit. Aux aurores, notre bonne dame, qui avait pas dormi ben, ben, entend du bruit en bas. Les quêteux sont toujours matinaux, mais d’ordinaire pas jasants. Celui-là s’est mis à parler tout seul. Mon dieu, les enfants! Toute effarouchée, la femme descend en bas pour s’apercevoir que notre quêteux a le plus jeune de ses gars sur ses genoux.
– Bonjour, ma bonne dame,. Vous avez de bons enfants. J’étais en train de leur conter mes aventures pis de leur dire comment que leur mère était généreuse.
Après lui avoir offert le déjeuner, le quêteux prend congé, non sans avoir passé par l’étable afin de couper la cenne en deux. Y en a remis une partie au plus jeune en disant de la garder précieusement pis que l’année prochaine, à pareille date, d’aller au bout du rang dans le bois à minuit tapant. Y avait juste à suivre ses traces parce qu’il laisserait des indices. Après, le quêteux est parti. Y a même personne qui l’a revu redescendre le rang pour prendre le chemin.
Quand son mari est rentré, la femme lui a conté le passage du quêteux. Le mari a trouvé ça ben drôle pis lui a dit qu’elle s’était fait enfirouaper. Pourtant le plus jeune, qui gardait précieusement la demi-cenne, attendait avec fébrilité que l’année soit passée.
L’année suivante, jour après jour, le garçon, tout excité, se prépare pour aller chercher le trésor tant convoité. En franchissant le seuil de la porte, un éclair fend le ciel et vient frapper la corniche. Le jeune a eu tellement peur qu’il est allé se cacher sous les draps, dans sa chambre.
Puis le temps a passé. À tous les étés, la température était tellement mauvaise que le jeune devait encore remettre son voyage dans le bois à l’année suivante. Au bout de quelques années, la demi-cenne s’est perdue et y a jamais personne qui est allé chercher le trésor.
Mais quand vous allez dans le bois à minuit cette journée-là, la température est toujours mauvaise. Il pleut presque tout le temps. Même que le tonnerre pis les éclairs sont souvent présents, pis y se passe des choses bizarres. Plusieurs sont allés sans rien trouver. Mais une fois revenus, y en avaient long à raconter. Quand vous allez dans le bois au bout du deuxième rang, y a une marque de bâton pis de pieds gravées dans le roc. La preuve que le quêteux est bien passé par-là.
Je suis allé, le fameux soir du vingt-six août. C’était une nuit noire. Pas de lune, pas d’étoile, le noir total. Une pluie fine tombait et le tonnerre se faisait entendre de loin. J’ai stationné ma voiture au bout du deuxième rang est pour ensuite me diriger lentement dans le bois.
Je m’étais muni d’une lampe de poche afin de guider mes pas. Je marchais lentement en écoutant tous les bruits que la forêt laissait entendre. La légende dit qu’il se passe des choses bizarres quand vous traînez dans le bois le soir du vingt-six août. Ben croyez-moi, croyez-moi pas : j’oublirai jamais cette nuit. Le tonnerre grondait de plus en plus fort et la pluie inondait de plus en plus mon visage.
– Hein, qu’est-ce que c’est ça?
Comme un éclair zébrait le ciel, j’ai remarqué la forme de quelqu’un qui m’épiait derrière un arbre. La panique m’a pris un peu.
– Je dois-tu continuer ou arrêter? C’est peut-être juste la peur qui me joue des tours.
Je décide d’avancer encore. De peine et de misère parce que la peur me coupe les jambes. Surtout qu’on dirait que le vent me chuchote dans les oreilles de revirer de bord. Paf! Ma lampe de poche s’éteint subitement. Y a juste les ténèbres qui m’entourent. Là, je commence à paniquer sérieusement. En plus, j’entends comme un ricanement. Vous savez un petit rire taquin qui semble vous dire que ce que vous faites, c’est pas la bonne chose. On dirait que la forêt riait de moi. Je craque. Je pars à courir en m’enfonçant de lus en plus dans le bois. Laqa peur vous fait faire de drôles de choses! Heureusement que je connais le coin pour l’avoir arpenté plusieurs fois en plein jour. Je cours, je cours sans regarder dernière. Soudain, un éclair plus fort que les autres déchire le ciel pour s’abattre sur un arbre et le fendre en deux. C’est là que j’ai vu que j’étais arrivé sur la fameuse roche. Pis en lieu et place des traces de pas, y avait un quêteux. Y se tenait debout avec son bâton planté dans la roche pis y tendait la main en riant, l’air de me demander la demi-cenne qu’il fallait pour réclamer le trésor.
J’ai reviré de bord aussi sec, pis chus parti en courant sans regarder en arrière. Tout ce dont je me souviens en arrivant à la voiture, c’est que ça ricanait toujours en pas pour rire dans le bois :
Alors moi je vous dis :
– Promenez-vous pas dans le bois par une nuit sans lune, surtout au deuxième rang de Trois-Pistoles, sans avoir une demi-cenne dans vos poches.
Moi, j’attends juste que le dollar descende assez bas pour que la valeur d’une cenne en vienne à une demie pour y retourner.