Le murmure des régions
Lettre d'opinion d'Harold Michaud, journaliste indépendant de RimouskiLes réflexions abondent ces jours-ci sur la crise des médias. Certaines analyses abordent la dimension pragmatique, comme la redistribution éventuelle des nouveaux fonds à investir dans la création de contenus (advenant une entente avec les géants du numérique). Le murmure des régions.
D’autres se lancent dans des questionnements plus en profondeur sur la désagrégation de la culture entraînée par le sous-investissement dans la production originale de contenus journalistiques, artistiques et de divertissements (lire dans La Presse, «Derrière les médias, une crise culturelle», par François Cardinal, éditeur adjoint).
Ma réflexion s’appuie sur un axe précis, celui d’une région, la mienne, le Bas-Saint-Laurent. Elle postule que tout ce qui viendra des grands centres ne règlera rien. Les décennies récentes ont démontré que les décisions prises par les dirigeants de Québec et de Montréal se font sur le dos des citoyens.
Elles ne reposent pas sur une connaissance fondamentale et actualisée des régions ni sur un désir profond et désintéressé de renforcer l’identité régionale.
Avant le charcutage récent annoncé par TVA, on avait déjà goûté en région au cynisme des grands décideurs, en 1990, lors des fermetures dramatiques de Radio-Canada. Cela m’amène à croire que la solution aux secousses actuelles qui ébranlent l’information régionale, et conséquemment la démocratie locale, doit venir des régions. Étudions toutes les hypothèses.
Par exemple, la création d’une Agence de nouvelles indépendante avec le statut fiscal accordé au Devoir et à La Presse, en plus de fonds publics garantis par le Parlement (loin de l’influence partisane), permettait-elle de renforcer la région et la nation? Il pourrait revenir aux propriétaires des grands médias traditionnels et numériques du secteur privé de négocier avec l’Agence pour s’alimenter en nouvelles régionales et locales.
Tenir sur du solide
À partir des faits vérifiés par des journalistes professionnels, les médias privés pourraient attirer leur public avec les analyses, les commentaires et les opinions, les débats, les tribunes et les forums. Si la base est vraie et vérifiée par des journalistes établis et compétents, le débat tient sur du solide et la démocratie serait bien servie.
Par ailleurs, récemment, le professeur, Marc-François Bernier de l’université d’Ottawa disait ceci dans La Presse – – Une solution, selon le professeur Bernier, serait la création d’un organe de presse québécois indépendant, mais public, qui aurait un mandat régional, par exemple par l’entremise de Télé-Québec. « Ça existe dans d’autres pays, comme la France, affirme-t-il.
Et ce serait une façon pour l’État québécois de compenser pour un modèle économique [des médias privés] qui ne marche plus. » Télé-Québec, le diffuseur public québécois, pourrait refaire sa marque dans les régions sur le documentaire et les grands forums.
Et il restera toujours en plus des initiatives de toute nature pour compléter l’offre car le dynamisme ainsi créé entraîna les générations montantes à prendre des risques sur des plateformes à inventer. Le dynamisme de la petite équipe du journal électronique Le Soir en est une exemple éloquent.
Il sera important aussi que les entreprises régionales et nationales, par l’achat de publicité, soient présentes continuellement pour contribuer à la survie et à l’indépendance des médias régionaux. Radio-Canada, le diffuseur public canadien, devrait être tenu de maintenir un niveau de service assurant ainsi une concurrence de qualité.
Enjeux des régions
Tout cela devrait mériter une analyse. Si des États généraux se tenaient sous la houlette de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), il serait essentiel que les enjeux des régions ne se retrouvent surtout pas noyés dans les considérations des grands centres.
Dans le Bas-Saint-Laurent, on a déjà joué dans certaines tragi-comédies: le BAEQ, les Opérations Dignité, la lutte pour la gestion québécoise sur la câblodistribution, les fermetures intempestives de Radio-Canada et de certains journaux hebdomadaires.
Il faut que les gens des régions réfléchissent à leur propre sort et à la menace qui plane sur un affaiblissement de nos identités.
On dit dans le milieu que la collecte sérieuse des faits coûte cher. Oui, mais c’est un investissement direct et indispensable dans la démocratie.