Information en région : que font nos élus ?
Lettre d'opinion de Richard DaigleDes dirigeants de réseaux de radiodiffusion ont comparu récemment devant le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) pour exposer leur situation catastrophique.
Leur argumentaire : des entreprises américaines (Netflix, Amazon, Disney et consorts) récoltent la manne des abonnements sans devoir se plier à quelque réglementation que ce soit. (Remarquons le changement notable de discours de Pierre-Karl Péladeau, qui arrête de s’en prendre à tort ou à raison à la Société Radio-Canada; il cesse enfin de délaisser la proie pour l’ombre.)
Les Québecor et Bell de ce monde exhortent donc maintenant le CRTC à leur accorder plus de « flexibilité ». Trente années dans les médias m’ont appris à ne plus me laisser berner par ce langage lénifiant.
Dans leur vocabulaire, ce mot avoisine « rationalisation », « restructuration », « optimisation » et autres euphémismes pour exprimer « mises à pied », « faire plus avec moins », « réductions de service » et tutti quanti.
Que signifie plus clairement le mot « flexibilité », pour Bell Média?
« Bell espère notamment obtenir rapidement plus de flexibilité dans ses obligations en information régionale. L’entreprise dit vouloir couvrir l’actualité locale en fonction de l’actualité du jour et pouvoir utiliser ses ressources en conséquence au lieu d’avoir à produire du contenu par région de manière équivalente. » (1)
Ça laisse entrevoir la possibilité que Bell Média ne produise plus de bulletins de nouvelles régionales, purement et simplement. Si on lit bien, on saisit facilement qu’au mieux, Bell veut utiliser des pigistes, plus ou moins sur appel.
Les chefs d’antenne du réseau (comprendre : Montréal) jugeront de la pertinence des sujets diffusés. Entre la dernière controverse en politique municipale montréalaise et l’avenir du transport en région, de quoi entendrez-vous parler dans les nouvelles de Bell produites sous le régime de la « flexibilité », croyez-vous?
« Flexibilité »
Remplacez « contenu par région » par « contenu selon l’orientation sexuelle » ou « selon l’origine ethnique » et vous verrez toute la grossièreté de la « proposition » de Bell.
Pour rappel, Bell vient justement, il y a quelques mois, avant même d’avoir obtenu cette « flexibilité », de réduire à un seul journaliste son effectif pour couvrir le Bas-Saint-Laurent à partir de ses trois stations de radio à Rimouski et Amqui — sans aucune approbation du CRTC, faut-il le préciser.
Il faut être passablement déconnecté pour prétendre sans rire qu’une seule personne peut à la fois collecter des nouvelles de 114 municipalités réparties dans huit MRC et un territoire de plus de 22 000 km2, les écrire et les lire en ondes dans trois stations de radio, et ce, sur deux quarts de travail.
On approche du degré zéro de l’information régionale… cela sans même que le CRTC ne s’en émeuve. J’en viens donc à nos élus, que j’ai interpellés en titre.
Lors de l’annonce totalement absurde de l’abolition d’un des deux postes de journalistes des radios de Bell Média à Rimouski, qu’ont fait nos élus? L’un d’entre eux a publié un communiqué (ce qui ne nécessite pas un gros engagement de sa part) et les autres se sont tenus cois.
Pas même une résolution de l’une ou l’autre des nombreuses instances d’élus bas-laurentiens (municipalités, MRC, table de concertation, etc.). Ou alors elles sont restées purement confidentielles.
Ensuite, quelques-uns ont donné quelques secondes de clips indignés ou attristés à la manifestation organisée par le syndicat de TVA, le 18 novembre, à Rimouski. Puis, tout le monde est retourné sagement à la maison… jusqu’à la prochaine vague de compressions médiatiques.
Un seul langage
Savez-vous que les grandes orientations qui concernent les médias et surtout, leurs obligations en matière de services d’information, se décident au CRTC?
Croyez-vous que les gens du CRTC connaissent l’existence même des manifestations auxquelles vous avez pris part? Avant la saignée chez TVA, croyez-vous même que les gens des médias dans les grands centres comprenaient à quel point l’information régionale est menacée chez nous?
Pensez-vous sérieusement que les disparitions de postes dans les médias n’affecteront que les municipalités, les MRC voisines?
Le CRTC n’entend qu’un seul langage : celui des mémoires que vous lui déposerez et mieux encore, pour lesquels vous prendrez la peine de vous rendre à Ottawa pour les défendre. Vous réagiriez exactement de la même manière. Entre l’auteur d’un commentaire rageur sur les réseaux sociaux et celui d’une cause bien étoffée, je devine avec qui vous choisirez de vous asseoir pour discuter.
Alors, élus des hôtels de ville, de l’Assemblée nationale et de la Chambre des communes, vous qui dites représenter les intérêts de vos commettants au Bas-Saint-Laurent, je vous pose la question et j’attends votre réponse.
Que ferez-vous concrètement, une fois les manifestations éteintes et outre les communiqués qui aboutiront dans le bac bleu, pour défendre le droit de vos concitoyens à l’information régionale et donc, à une participation démocratique pleine et entière?
(1) « Services de diffusion en ligne : « Notre démocratie est en jeu » », La Presse, 21 novembre 2023. Mis en lien avec le texte, le titre est intéressant : existe-t-il une démocratie à deux vitesses, une pour les grands centres et une pour « les autres »?