Des algues du Saint-Laurent dans nos assiettes à notre insu
Le secret d’OrganicOcean, une entreprise de biotechnologie à RimouskiÇa sent le varech dans cet entrepôt de Trois-Pistoles. Les algues qui poussent juste en face, en bordure du fleuve, trouvent ici une deuxième vie avant de prendre le chemin des assiettes des Québécois. Sans le savoir, « la plupart des gens ont déjà mangé un produit qui a bénéficié de notre technologie », se félicite Martin Poirier, président-directeur général de l’entreprise OrganicOcean.
Par Jean-Louis Bordeleau, Initiative de journalisme local- Le Devoir
Son équipe s’embarque tous les étés sur des pontons pour cueillir à marée basse des ascophylles noueuses, ces algues dotées « de petits flotteurs ».
On les rapporte sur la terre ferme à coups de « 12 à 14 tonnes par marée » avant de les sécher et de les transformer en une sorte de poudre.
Ce concentré d’algue, le secret d’OrganicOcean, une entreprise de biotechnologie à Rimouski, est ensuite vendu aux agriculteurs en tant qu’engrais aux propretés uniques.
Avant d’entrer dans les fruits et légumes de nos paniers d’épicerie, cette matière végétale doit être décomposée en un « supplément pour plantes », explique Martin Poirier.
« Ces algues-là sont super résistantes : elles résistent au froid extrême, aux glaces, aux marées. On les transforme en une forme assimilable pour les plantes. Leurs hormones de croissance jouent sur deux niveaux. On aide les plantes dans leur croissance et, en parallèle, on aide les plantes à mieux gérer leur stress. »
Comme un vaccin
Les sécheresses ou les inondations frappent de plus en plus les maraîchers. Les extrêmes climatiques poussent donc les cultivateurs d’ici à trouver des solutions pour prévenir les pertes, précise-t-il.
Le concentré d’algue agit entre autres « un peu comme un vaccin » contre ces perturbations, souligne Martin Poirier.
La plante considère à tort qu’elle a un problème de champignons et acquiert des anticorps qui l’aident à résister aux conséquences des grandes pluies, par exemple. « C’est à la fois un stimulant de croissance et un élément protecteur. »
Avant de toucher à la racine des plantes fruitières et légumières, les algues sont d’abord récoltées à la serpe, comme dans le bon vieux temps. Après tout, on récolte des algues pour engraisser les champs depuis des siècles en Europe. Au Québec, on ne transforme ces produits de la mer à cette fin que depuis une quinzaine d’années.
Les algues québécoises se retrouvent par contre déjà dans une dizaine de pays du monde. Canne à sucre, agrumes, café, riz, cacao ou encore tomates en serre bien de chez nous poussent grâce à ce compost sophistiqué.
L’entreprise bas-laurentienne a commencé en 2020 à alimenter d’autres cultivateurs que les maraîchers, comme les grands producteurs de soja ou de grains.
« On est de Saint-Lin au Brésil, se vante Martin Poirier. On vend en Colombie, en Équateur, au Moyen-Orient, en Chine, aux États-Unis… »
La majorité de ses algues séchées est vendue au Québec, mais les acheteurs canadiens sont parfois réticents, laisse tomber M. Poirier. « Curieusement, c’est parfois plus facile de vendre au bout du monde. »
Recycler le homard
Une nouvelle vague d’innovation enfle déjà entre les murs de cette PME unique au Québec. Après les algues, voilà que les carapaces de homards se retrouveront bientôt à notre insu dans nos assiettes.
La pêche de ce crustacé bat des records année après année. Les transformateurs trouvent ici une façon de recycler ces exosquelettes aussi abondants qu’encombrants, ce qui enthousiasme Martin Poirier.
« On les achète séchés. Ça fait longtemps qu’on cherche des débouchés pour ces déchets-là. Humides, [les carapaces] créent beaucoup de problèmes. Mais sèches, elles font d’excellents démarreurs pour les plants de maïs. »
On ne manquera pas de homards ni d’algues de sitôt. Les cueilleurs d’OrganicOcean réalisent leur récolte sur trois rivages de la région en alternance afin de préserver les écosystèmes.
Et à en croire Martin Poirier, on ne manquera pas non plus d’acheteurs. Dans cet entrepôt qui sent la mer, « on manque vraiment d’espace », confie le chef d’entreprise.