« Les vérités parallèles » : entre réalité et fiction
Établir la différence entre un reportage journalistique et un roman enlevant
Quelle est la différence entre un excellent reportage journalistique et un roman enlevant ?
En principe, le journaliste doit dévoiler la vérité : des faits réels, des entrevues bien concrètes, un compte-rendu fiable et bien formulé.
Alors que le romancier peut s’inspirer de la réalité, mais il a toute la latitude pour inventer un univers et s’adonner à la fiction, pourvu que ce soit crédible et captivant!
L’auteure du roman « Les vérités parallèles », la Parisienne Marie Mangez, démontre de façon éblouissante la fragile frontière entre ces deux mondes.
Arnaud Daguerre, le personnage principal, a rapidement grimpé les échelons pour devenir journaliste de premier plan pour une revue française prestigieuse, spécialisée dans les grands reportages, Le Miroir.
Personne ne peut résister à Arnaud. Beau garçon, dossier scolaire remarquable, brillant par la qualité de son écriture. Mais celui-ci, au fond de lui-même, est un grand timide pas très aventureux…
Alors, d’un reportage à l’autre, en mission dans des coins du monde inconnus et périlleux, il préfère de plus en plus « inventer » les histoires qu’il raconte si bien, imaginer les personnes qu’il a rencontrées, créer des situations fictives.
Bref, « tordre la vérité ». Plutôt que d’affronter les difficultés et les risques du métier…
Par exemple, il invente tout un reportage qu’il devait faire en Bosnie, mais qui ne s’est pas réalisé à cause d’un vol raté… Ou bien, il pige des extraits dans les articles de journalistes étrangers en prétendant faussement qu’il a fait lui-même des entrevues avec les personnes mentionnées.
« Entorses à la réalité »
Il sait bien pourtant que les « entorses à la réalité » sont une faute grave en journalisme professionnel. Mais l’angoisse de la performance l’incite à continuer son imposture.
Et ça lui réussit! Qui pourrait donc soupçonner un reporter si éloquent, avec une plume si palpitante ? Dans une revue si respectable ? Lui dont la vie familiale, avec une femme adorable et deux enfants, semble sans reproches.
Il reçoit même un prestigieux prix en journalisme. On l’invite dans des écoles de journalisme pour connaître ses trucs du métier. On l’admire!
Au fond de sa tête, Arnaud n’est vraiment pas à l’aise. Il se remet en question. Mais comment pourrait-il dévoiler son immense malaise quand toute sa carrière chevronnée pourrait éclater en mille miettes avec un seul aveu ? Imaginez le scandale, autant pour lui que pour sa revue éminente.
Les journalistes écrivent-ils des histoires simplement pour divertir, pour racoler les lecteurs ? Ont-ils le droit d’inventer des rebondissements, de créer de faux détails qui donnent l’impression d’une plus grande proximité avec la vérité du terrain ?
Ça risque de mal finir pour Arnaud, vous en conviendrez…
L’histoire étonnante racontée dans ce roman serait inspirée d’une situation vécue en Allemagne en 2018, pour le magazine Der Spiegel.
Voilà donc un roman bien construit et fort bien écrit. Et l’auteure a un talent exceptionnel pour saisir la psychologie des personnages et leurs tracas quotidiens dans un environnement exigeant.

« Les vérités parallèles », par Marie Mangez, Éditions Finitude, 2024, 256 pages.
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