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« Que notre joie demeure »

Le livre de Kevin Lambert analysé par Mario Bélanger
Kevin Lambert (Photo courtoisie)

Par sa densité boulimique, par ses excès de détails, « Que notre joie demeure », le livre de Kevin Lambert, vedette récente au Québec, ne plaira sûrement pas à tout le monde, malgré ses qualités.

Le personnage principal, Céline Wachowski, a mené une longue et fructueuse carrière en architecture pour des bâtiments publics à vocation culturelle. Sa notoriété s’étend à l’international. Elle fait partie de l’élite, elle est riche à craquer.

Politiciens, artistes, mécènes, tous désirent partager un moment avec elle. En fin de carrière, la célèbre architecte est cependant la cible d’un article très critique dans une revue de prestige qui fait débouler soudainement sa précieuse réputation.

Le projet de construction, à Montréal, du vaste complexe Webuy, dont elle est l’instigatrice, devient l’occasion de graves manifestations sociales.

La critique s’intensifie contre ce genre de projets pharaoniques, qui embourgeoisent les quartiers et qui font grimper le prix des logements urbains pour les moins fortunés. Les médias sociaux amplifient la condamnation publique.

Toute l’autorité de l’architecte admirée s’évapore en peu de temps. Elle est rejetée, ce qu’elle accepte difficilement. C’est l’occasion de faire le point sur sa vie, de se remettre en question. Elle doit passer de la gestion de projet à la gestion de crise.

L’histoire met aussi en scène une profonde introspection dans la vie des gens riches et célèbres, notamment dans leur relation avec le monde ordinaire.

Prix Médicis

Ce livre a remporté en 2023 le prix Médicis du roman francophone et le prix Décembre, qui se veut un anti-Goncourt. Longueurs Le récit de ce roman ne manque surtout pas d’originalité et de pertinence. Cependant, la densité du texte devient souvent rebutante.

Des phrases qui couvrent une page complète et des paragraphes qui s’étirent sur près de dix pages, ce n’est pas rare dans ce livre. À lui seul, le premier chapitre décrit, sur une centaine de pages, une soirée réunissant un lot de vedettes et de gens influents dans le chic appartement de Dina, une amie de Céline.

Tenez-vous bien, le dernier chapitre comprend 200 pages bien tassées. Un flot ininterrompu de longues phrases. Peut-être un record? On présente tous les détails qui circulent dans la tête de ces biens nantis. L’auteur pénètre en profondeur dans les pensées et les non-dits de ses personnages.

Les commentaires et les allusions se bousculent au gré des conversations et des souvenirs qui jaillissent. Cet auteur est un moulin à mots, une avalanche d’éloquence! Mais le roman ajoute trop de descriptions futiles, ou bien passe vite du coq à l’âne, ce qui ne facilite pas la concentration sur l’histoire pour les lecteurs.

L’auteur est attentif à tous les détails. Il sait détecter la plus fragile émotion, la plus subtile frustration. Le moindre parfum qui circule dans l’air, la moindre vibration qui se fait entendre, une variation de couleur sur un mur, un mouvement de cil chez un personnage : on dirait que tout mérite d’être signalé… Lambert démontre une grande maîtrise de la langue.

On trouve de bien belles phrases : « Dans les rues environnantes champignonnent les pancartes à vendre. » « … ta marmaille vire moins fuckée si elle mûrit sur un terrain de pelouse traitée. » « Le secret des grandes fortunes est un crime oublié parce qu’il a été proprement fait. » Bref, un roman pour des lecteurs insatiables…

Une lecture touffue et bavarde. Souvent trop…

« Que notre joie demeure», par Kevin Lambert, Heliotrope, 2022, 384 pages.

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