Tintin : un reflet du XXe siècle
Un passionné, Pierre Letarte, tente de répondre à cette épineuse question
Pourquoi donc les aventures de Tintin ont-elles connu autant de succès à travers le monde ?
Un passionné de Tintin, Pierre Letarte, qui fait carrière comme professeur au Cégep de Trois-Rivières, a tenté de répondre à cette épineuse question. Une question qui aurait pu embarrasser même les Dupont…
Monsieur Letarte a présenté une conférence sur ce thème à Rivière-du-Loup, au début mai 2025, à l’invitation de l’ADAUQAR (Association pour le développement des aînés à l’UQAR).
L’auteur des aventures de Tintin, le belge Georges Remi, connu sous le pseudonyme de Hergé (initiales inversées), a en effet publié pas moins de 24 livres entre 1930 et 1986.
Ses bandes dessinées ont été traduites en plus de 130 langues et dialectes. Elles ont été vendues à plus de 300 millions d’exemplaires.
Selon Pierre Letarte, le succès de Hergé réside avant tout dans son talent exceptionnel pour raconter des histoires intrigantes et pour jumeler de manière originale des images claires, bien contrastées et expressives avec des textes faciles à lire.
Mais ce qui est aussi remarquable dans les histoires de Tintin, c’est qu’elles s’inspirent continuellement des actualités de leur époque, avec une vision humaniste.

Ces histoires sont très influencées par les événements et les tracas qui ont marqué son siècle, et qui préoccupent encore notre époque, explique M. Letarte.
En fait, les toutes premières bandes dessinées que Hergé a produites en 1929, étaient publiées les jeudis, dans un supplément pour la jeunesse du journal belge Le XXe siècle, nommé Le petit XXe.
Déjà, le jeune Hergé trouvait important de lire les journaux pour être au courant de l’actualité. Il a toujours été impressionné par le métier de reporter, avec une attention spéciale à la scène internationale.
À partir de 1930, quelques rappels
Rappelons quelques éléments marquants… Le tout premier album à être publié, Tintin au pays des Soviets, donnait le mauvais rôle aux Soviétiques, que les Européens de l’Ouest considéraient comme très menaçants en 1930.
Le livre suivant, Tintin au Congo, se déroule dans un pays colonisé agressivement par les Belges et le roi Léopold II. Hergé ne fait ici qu’exprimer le complexe de supériorité des Européens de l’époque par rapport aux Africains. Ce livre a été très critiqué et des extraits ont été modifiés dans les éditions ultérieures.
Tintin en Amérique jette ensuite un regard désapprobateur sur les États-Unis, avec un fond de crise économique, de prohibition, de mafia, en plus du racisme envers les Amérindiens.
Les cigares du Pharaon aborde des thèmes comme le trafic d’armes et de drogue, les conflits ethniques au Moyen-Orient et les sociétés secrètes.
Dans Le Lotus bleu, publié en 1936, l’auteur se moque des Japonais qui envahissent alors la Chine. Hergé est alors en contact direct avec Song Meiling, conjointe de Tchang Kaï-chek, homme d’État chinois. Pierre Letarte considère que c’est l’un des meilleurs albums de Tintin.
L’oreille cassée nous amène en Amérique du Sud, en pleine guerre pour le pétrole. La question de la duplication en arts est alors abordée. Est-ce qu’une œuvre reproduite identiquement en grande quantité est aussi valable qu’un original ?
L’île noire s’inscrit dans un univers d’espionnage et de fausses monnaies, avec beaucoup d’avions de guerre et… un gorille. À la fin des années 1930, c’est l’époque où le film King Kong fait fureur, tout comme le mythe du monstre du Loch Ness, deux métaphores des dangers ambiants.
L’abdication du roi Edouard VIII en Angleterre, en 1936, a créé une crise politique qui a certainement inspiré Le sceptre d’Ottokar. Les costumes des méchants dans cet album ressemblent aux habits des guerriers allemands qui inquiétaient l’Europe.
La sécurité énergétique de l’Europe, à court de pétrole en ce début de la Deuxième Guerre mondiale, transparait dans Au pays de l’or noir.
Le crabe aux pinces d’or se déroule dans une atmosphère de guerre et de rationnement. En contrepartie du parfait Tintin, le capitaine Haddock, fumeur, buveur, blasphémateur, occupe ici une place importante.
L’étoile mystérieuse, album paru en 1942, met en évidence les dangers de l’énergie nucléaire mal exploitée en temps de guerre. Oppenheimer, le père de la bombe atomique, est une personnalité forte de cette période.
En 1943, la Belgique est sous occupation allemande. Et l’argent était rare durant la guerre. Le secret de la licorne porte sur la recherche d’un trésor. Et justement, l’histoire se poursuit avec Le trésor de Rackham le rouge, dans lequel le professeur Tournesol fait une première apparition.
Dans Les sept boules de cristal, on dénonce le pillage archéologique, une réalité qui fait alors l’actualité. Une partie de l’action se déroule dans un asile, à mettre en parallèle avec la mère de l’auteur qui venait de vivre un épisode de folie.
Au tout début des années 1950, Objectif lune et On a marché sur la lune s’inscrivent dans la grande aventure technologique en vue de fouler en premier l’astre de la nuit. En réalité, les Allemands voulaient y aller! Il s’agira finalement d’une réussite américaine, en 1969, mais ce sont des cerveaux allemands qui en auront été les précurseurs.
L’affaire Tournesol, en 1956, témoigne de l’espionnage et de la guerre froide avec les Soviétiques de Staline. Le premier roman de James Bond apparaît en même temps.
Coke en stock met l’accent sur l’esclavage et la présence américaine au Moyen-Orient. Hergé n’hésite pas à signaler ces injustices toujours criantes.
Paru en 1961, Tintin au Tibet, se veut une ode à la recherche de l’amitié entre Tintin et Tchang. Dans l’actualité de l’époque, il est question de l’invasion chinoise du Tibet, du Dalaï Lama et d’un terrible écrasement d’avion. Pierre Letarte considère qu’il s’agit du plus bel album de Hergé. « Un chef d’œuvre! »

Juste quelques mots sur Les Bijoux de la Castafiore (nationalisme), Vol 714 pour Sydney (extraterrestres et détournement d’avion) et Tintin et les Picaros (révolution permanente en Amérique du Sud).
Et le tout dernier livre de Hergé, Tintin et l’Alph-Art, en 1986, est une œuvre inachevée. Elle faisait allusion aux sectes religieuses, alors que la tuerie de Jonestown avait auparavant envahi les manchettes.
Enfin, il paraît que Hergé a créé le personnage de Tintin en s’inspirant de Paul, son propre frère, et qu’il a attribué à Milou le surnom qu’il utilisait pour sa première petite amie de jeunesse…
En somme, l’inspiration est toujours à portée de main!
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