Des bâtiments abandonnés à réhabiliter
Dossier : un patrimoine oublié
Pratiquement aucune ville n’y échappe. Aux quatre coins du Québec, des municipalités sont aux prises avec des bâtiments vétustes — souvent placardés, parfois vandalisés — qui ont surtout comme point en commun d’être tout simplement hideux et de gâcher le paysage.
Personne ne veut habiter ou travailler près d’un établissement décrépi. L’Hôtel des Gouverneurs à Rimouski en est un exemple, bien que certains travaux aient récemment été observés tels que le rapportait Le Soir récemment.
« Souvent, quand un bâtiment abandonné est en plein centre d’un village ou d’une ville, ça brise tout le cachet du milieu environnant », note avec justesse l’historien Jean-Marie Fallu, qui est également à la tête de Patrimoine Gaspésie.
La saga de ce qu’il était convenu d’appeler « la maison brune » sur la rue de la Cathédrale a aussi soulevé les passions. Elle était l’une des dernières construites avant le grand incendie qui a ravagé une partie de Rimouski, il y a exactement 75 ans. En 2023, elle a toute de même été démolie, vu son état.
Parfois, l’attente est longue. En Gaspésie, à Saint-Maxime-du-Mont-Louis, il a fallu patienter 20 ans avant qu’Irving ne fasse démolir sa vieille station-service, largement ravagée.
Tous ceux qui ont fait le tour de la Gaspésie dans les deux dernières décennies pouvaient observer l’état lamentable du bâtiment, paradoxalement situé dans le bucolique secteur de L’Anse-Pleureuse, qui ravit immanquablement les touristes en quête de majestueux panoramas.
D’autres fois, c’est la nature qui s’en charge. En 2022, les images en provenance de Chandler du château Dubuc qui s’engouffrait dans la mer ont fait le tour du Québec.
Celui-ci appartenait jadis à Julien-Édouard-Alfred Dubuc, l’un des plus grands industriels francophones de la province dans le domaine de la foresterie et des pâtes et papier.
Obligation
En 2021, la Loi sur le patrimoine culturel a introduit l’obligation pour les MRC d’adopter et de mettre à jour périodiquement un inventaire des immeubles construits avant 1940 qui sont situés sur leur territoire et qui présentent une valeur patrimoniale, y compris les immeubles qui ne sont pas des bâtiments principaux. Les MRC avaient cinq ans pour le faire.
La date limite est le 1er avril 2026. Certaines ont déjà emboîté le pas alors que d’autres s’affairent toujours à compléter leur inventaire.
En Gaspésie, La Côte-de-Gaspé a été une des premières sinon la première au Québec à le faire.
Environ 300 bâtiments de différentes natures ont été recensées : du résidentiel au commercial, en passant par les lieux de culte, les institutions, les industries ou même des structures liées aux transports et à la pêche.
Plusieurs exemples heureux existent tout de même. Dans le privé, le chef Ricardo Larrivée et sa conjointe Brigitte Coutu ont retapé la maison Biard, à Percé. Le Groupe JGS a investi plus de 5 millions de dollars pour revamper le golf et l’hébergement au site historique de Fort Prével, entre Gaspé et Percé.

Au provincial, Québec a injecté l’an dernier 1 million de dollars dans le manoir Le Boutillier (qui appartient à la Ville de Gaspé) et a sauvé la villa Frederick-James face au rocher Percé, avec des investissements de 25,5 millions.
Des bénévoles sont actuellement à pied d’œuvre pour sauvegarder l’église de Grande-Vallée. La Cathédrale de Gaspé complète actuellement une cure de jouvence. En 2022, Ottawa annonçait un projet de presque 9,8 millions de dollars pour la restauration de maisons patrimoniales des familles expropriées dans le parc national Forillon. Les exemples sont nombreux.
Rimouski impose une taxe foncière
Pour diminuer le nombre de bâtiments non utilisés sur son territoire, la Ville de Rimouski a décidé d’imposer, en septembre 2023, une taxe foncière sur les bâtiments commerciaux et institutionnels du centre-ville élargi qui sont inoccupés.
Le maire de Rimouski, Guy Caron, indique que les pouvoirs d’une ville par rapport à ces bâtiments ne sont pas aussi grands que ce que les gens peuvent penser. Le conseil municipal a donc cru bon de mettre cette taxe en place.
« Si un bâtiment commercial est utilisé à moins de 40 %, le propriétaire dispose d’un délai d’un an pour s’assurer que la surface occupée dépasse les 40 %. Si ce n’est pas le cas, la Ville charge un montant en taxes qui est placé dans un fonds pour dynamiser le centre-ville », explique monsieur Caron.

Pour l’instant, la Ville est satisfaite des résultats. Le maire soutient qu’un bâtiment a été comblé assez rapidement, celui de la SQDC.
« Le deuxième étage était inoccupé depuis 2019. Une demande a été faite pour convertir le deuxième étage en résidentiel et aujourd’hui, le bâtiment respecte les normes en termes d’occupation. C’est la même chose pour les grands bâtiments comme l’Hôtel des Gouverneurs ou l’ancienne école d’agriculture qui sont soumis à cette taxe. Maintenant, si des demandes de permis sont faites et qu’il y a une volonté de restaurer, il y a des accommodements concernant la taxe », dit-il.
Lors de l’adoption du règlement, il y a deux ans, la Ville expliquait quecette nouvelle taxe serait un outil supplémentaire pour stimuler l’exploitation des bâtiments qui se situent dans un endroit névralgique pour la revitalisation et le développement économique et social du centre-ville élargi.
Stimuler l’innovation
« L’objectif est de stimuler l’innovation pour occuper ces espaces. La Ville se paie une taxe en tant que propriétaires des Ateliers Saint-Louis. C’est la solution que nous avons trouvée pour tenter de régler la situation. Il est difficile de procéder avec des amendes parce que les amendes ne sont pas assez élevées. Cela n’aurait pas le même impact que celle que notre taxe peut avoir », mentionne Guy Caron.
La taxe imposée pour les bâtiments inexploités est de 100 $ par m2, pour les 500 premiers m2 d’un bâtiment et de 10 $ par m2 de superficie taxable excédentaire. Cette taxe est applicable 12 mois suivant la date à laquelle l’inexploitation a été constatée par la Ville et demeure valide jusqu’à ce que l’inexploitation prenne fin.

Le règlement est toutefois contesté par la Société immobilière GP. Deux auditions ont déjà eu lieu devant la cour. Les procédures judiciaires se poursuivront d’ici la fin de 2025. Pour l’administration municipale, le règlement est parfaitement légal.
« Nous allons prendre les moyens pour le défendre. Nous pensons que ce règlement est légitime dans l’objectif que nous voulons atteindre. »