Désamorcer les conflits avant l’explosion
Les agents Élizabeth Carrier et Julien Isabel-Desrosiers au cœur des écoles
Deux policiers de la Sûreté du Québec œuvrent au cœur des écoles de Rimouski, armés non pas seulement de leur uniforme, mais surtout d’outils de prévention contre la violence et la criminalité.
Par Bruno St-Pierre- Le Soir.ca
Mais aujourd’hui, leur principal champ de bataille se situe en ligne. Ce sont les effets dévastateurs des réseaux sociaux que les agents Élizabeth Carrier et Julien Isabel-Desrosiers s’efforcent de contrer.
En quelques années à peine, la nature de la criminalité scolaire a radicalement changé. Les dossiers liés à la drogue se sont raréfiés, tandis que les cas d’intimidation, de violence et de cybercriminalité ont littéralement explosé.
Pendant que je m’entretiens avec lui dans les corridors de l’école Paul-Hubert, une dizaine de jeunes viennent chaleureusement saluer l’agent Isabel-Desrosiers. Sa présence, comme celle de sa collègue, repose sur une approche fondée sur la confiance, l’écoute et la proximité.
« Notre plus grande force, Élizabeth et moi, c’est qu’on travaille avec les jeunes. Et ça paraît. Une complicité se crée, presque naturellement », raconte-t-il, un sourire aux lèvres.
Après 14 années passées en patrouille, l’agente Carrier a elle aussi décidé de se rapprocher de la jeunesse. « C’est stimulant. Ils sont francs, authentiques. J’ai l’impression qu’ils sont encore malléables. Je cherchais un nouveau défi, qui allait aussi me garder jeune. »
Faire une différence
Tous deux partagent la même ambition : faire une différence.
« On les rencontre à 12 ou 13 ans, on intervient, et à 15 ou 17 ans, on constate leur évolution. C’est gratifiant. Et souvent, on ne les reverra pas comme clients une fois adultes », explique l’agent Isabel-Desrosiers.

Sa collègue abonde dans le même sens.
« C’est faux de croire qu’il n’y a rien à faire avec les jeunes. Quand tu t’intéresses à eux, ils finissent par venir vers toi. »
Mais leur mission ne se limite pas à la prévention : les agents doivent aussi intervenir auprès des contrevenants. Certains dossiers finissent d’ailleurs devant les tribunaux. Ce volet répressif n’empêche toutefois pas la création de liens solides, parfois surprenants. « Paradoxalement, ce sont souvent les jeunes qu’on a arrêtés qui viennent le plus nous parler par la suite. Parce qu’on leur explique que ce n’est pas eux qu’on rejette, mais le geste qu’ils ont posé. Et qu’on croit qu’ils peuvent faire mieux. »
Véritable fléau
Les policiers en milieu scolaire ont plusieurs responsabilités : des enquêtes criminelles, des interventions d’urgence, mais surtout la prévention. Une grande part de leur travail est désormais consacrée à la gestion des dérives liées aux réseaux sociaux, qu’ils qualifient sans détour de « fléau » dans les écoles.
Snapchat, notamment, pose un problème majeur. Il permet aux jeunes de partager des images illicites ou de harceler autrui sans laisser de traces tangibles.
« Les jeunes ne savent plus comment régler leurs conflits face à face, déplore Julien Isabel-Desrosiers. Quand un adolescent en critique un autre ou n’aime pas un geste posé, il l’invite dans une conversation de groupe avec ses amis. Et ça dégénère en jeu de pouvoir, en insultes, en menaces. Derrière un écran, tout semble permis. »
Les policiers saluent d’ailleurs la décision du gouvernement d’interdire les cellulaires dans les écoles à partir de l’automne prochain. Une mesure qu’ils estiment aller dans le bon sens.
Phénomène des « justiciers » : les conséquences sont souvent graves
Un phénomène inquiétant a fait son apparition : celui des « justiciers ». Des jeunes qui, faute de confiance dans le système, choisissent de faire justice eux-mêmes.
« Ça peut partir d’un simple malentendu : quelqu’un croit qu’un autre parle dans son dos, une fille dit avoir été agressée sexuellement, ou un geste a déplu. Rapidement, un groupe se forme sur les réseaux sociaux pour “faire payer” la personne ciblée », explique l’agent Julien Isabel-Desrosiers.
Les conséquences sont souvent graves pour les jeunes visés : isolement, détresse psychologique, voire décrochage. Malgré leur uniforme et leur arme, les policiers font partie intégrante de l’équipe-école. Leur rôle dépasse largement celui de gardiens de la loi.
Prendre le temps
« La différence, c’est qu’on prend le temps. Le temps d’observer, de comprendre les habitudes des jeunes, leur milieu, leur vécu. Et quand on voit que certains prennent un mauvais chemin, on est là pour intervenir », explique l’agent Isabel-Desrosiers. Depuis 2012, la loi oblige les commissions scolaires à établir une collaboration avec le corps de police de leur région.