Et si votre vie était en jeu ?
Opinion de Johanne Fournier
Presque la moitié de la population québécoise réside dans une municipalité sans service de premiers répondants. Pour 45 % des appels jugés très urgents, il faudra plus de 10 minutes avant de pouvoir compter sur une intervention.
Pour quelqu’un qui est en arrêt cardiorespiratoire, ce délai lui laisse bien peu de chances de survie. Par ailleurs, des ambulanciers passent beaucoup trop de temps aux urgences.
C’est grosso modo la conclusion à laquelle en vient le vérificateur général du Québec (VGQ) par intérim dans un rapport sur les services ambulanciers et l’accès au logement abordable qui a été rendu public récemment.
Alain Fortin calcule que 773 municipalités sur 1102, soit plus des deux tiers des municipalités du Québec, ne peuvent compter sur un service de premiers répondants.
C’est presque 50 % des Québécois qui n’ont pas accès à un service de premiers répondants, tant en zone urbaine, semi-urbaine que rurale. N’y a-t-il pas de quoi s’inquiéter du temps de réponse en cas d’urgence ?
Dans 45 % des cas, l’ambulance prend plus de 10 minutes avant d’arriver sur un appel considéré « très urgent ». N’est-il pas encore plus préoccupant d’apprendre que 17 % de ces appels sont traités dans un délai de 15 à 30 minutes, de l’avis du VGQ ?
Lorsque les données sont isolées par catégorie, la situation en milieu rural s’aggrave, puisque 59 % des appels classés comme « très urgents » reçoivent un délai d’intervention de plus de 10 minutes. Pire encore, il faudra compter entre 15 et 30 minutes pour 29,4 % des appels faits en milieu rural.
Or, des sources scientifiques prouvent qu’après 10 minutes, les chances de survie d’une personne qui est en arrêt cardiorespiratoire sont pratiquement réduites à néant.
Municipalités réticentes
L’idée n’est pas de pointer du doigt les premiers répondants qui sont, la plupart du temps, des pompiers ou des bénévoles formés, d’autant plus qu’ils arrivent très souvent avant les techniciens paramédicaux.
En milieu rural, ils sont sur les lieux quelque 9 minutes avant. Dans plusieurs municipalités, ils arrivent avec un défibrillateur qui peut sauver la vie d’une personne en arrêt cardiorespiratoire.
S’il faut saluer le courage et la générosité de ces femmes et de ces hommes, on peut, en revanche, interroger les municipalités qui ne semblent pas bien comprendre leur rôle, selon ce qu’avait relevé en 2014 le Comité national sur les services préhospitaliers d’urgence, qui avait été instauré par le ministère de la Santé et des Services sociaux.
Ce comité en était venu au constat que certaines administrations municipales étaient « réticentes à participer » du fait qu’elles appréhendaient « de devoir assumer des coûts importants ».
Or, depuis plus d’une décennie, le nombre de municipalités ayant un service de premiers répondants n’a pas bougé, en dépit des recommandations formulées par le comité.
Le Bas-Saint-Laurent fait bonne figure
Certaines régions font bonne figure, dont le Bas-Saint-Laurent, qui se classe bon premier en matière de rapidité d’intervention des ambulances au Québec. Les trois villes de la région comptant plus de 10 000 habitants sont dans le top 3 du palmarès des 112 plus grosses municipalités québécoises.
Matane arrive au deuxième rang avec une moyenne de 6 minutes 21 secondes avant que n’arrive une ambulance, suivie de Rimouski, avec 6 minutes 22 secondes. Ces chiffres ont été compilés par le bureau d’enquête du Journal de Montréal.
Par conséquent, les habitants de ces deux villes bénéficient d’un temps de réponse en deçà de 10 minutes en situation d’urgence, ce qui est considéré comme étant bon. En Gaspésie, le temps de réponse varie de 15 à 20 minutes.
Communautés rurales mal desservies
Si les Matanais et les Rimouskois peuvent se considérer comme privilégiés, il en est tout autre des résidents de communautés rurales situées tout autour, surtout lorsqu’une seule ambulance est disponible dans un rayon d’un millier de kilomètres carrés.
Souvenez-vous du cas de cet enfant de 10 ans en visite à Esprit-Saint en janvier 2023 qui, alors qu’il était en arrêt cardiorespiratoire, est décédé après avoir attendu une ambulance pendant de trop longues minutes.
Comme la seule ambulance du secteur avait déjà été appelée sur une autre urgence, c’est un véhicule de Cabano, située à 57 km de là, qui avait été dépêché.

Le Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) du Bas-Saint-Laurent spécifiait alors qu’Esprit-Saint se trouve dans la zone ambulancière de Lac-des-Aigles, qui dessert 2 678 habitants sur une superficie de 1 184 km carrés.
Pour le maire de l’endroit, ce triste événement lui rappelait une expérience personnelle traumatisante.
« Mon épouse a fait un infarctus dans la maison, avait raconté Langis Proulx. On a appelé l’ambulance de Squatec et ça a pris 40 minutes. Je me suis toujours demandé pourquoi, alors que ça aurait dû prendre 20 minutes. En descendant mon épouse à l’hôpital de Rimouski, ils ont dû lui donner de la nitro cinq fois. Sinon, ils la perdaient. Ça donne une idée que, plus vite l’ambulance arrive, plus vite on peut sauver des vies ! »