Consacrer sa vie à compter les oiseaux
Les travaux de Jacques Larivée reconnus mondialement
Le 15 juin 1975, un jeune enseignant du Cégep de Rimouski, Jacques Larivée, posait un geste fondateur pour l’ornithologie québécoise et ultimement mondiale.
En alliant sa passion pour les oiseaux à ses connaissances en informatique, il mettait au point EPOQ (Étude des populations d’oiseaux du Québec), un logiciel de recensement novateur, devenu la toute première base de données informatisée du genre.
Rapidement adopté par une vaste communauté d’ornithologues amateurs, EPOQ s’est imposé comme un outil de référence pour l’étude des oiseaux. Plus encore, le modèle développé à Rimouski a pavé la voie à la création de la banque de données mondiale eBird, hébergée à l’Université Cornell, dans l’État de New York.
Passion enracinée
Jacques Larivée observe les oiseaux depuis plus de 60 ans. À ses débuts, comme bien des amateurs, il consignait ses découvertes sur le feuillet d’observations quotidiennes conçu par le frère Victor Gaboriault, pionnier méconnu de l’ornithologie au Québec. Ce formulaire, qui recense environ 300 espèces courantes, permettait de noter chaque observation par espèce, par jour et par localité.
C’est cette méthode rigoureuse que Jacques Larivée a choisi d’informatiser, à une époque où l’informatique en était encore à ses balbutiements. « En 1975, on comptait déjà 40 000 fiches manuelles d’observations accumulées depuis les années 1940. Aujourd’hui, ça semble banal, mais à l’époque, c’était franchement visionnaire », se rappelle-t-il.
EPOQ s’est ainsi imposé comme le plus ancien et longtemps le plus important programme de compilation informatique d’observations d’oiseaux en Amérique du Nord.
Mine d’or scientifique
Au fil des décennies, la base de données EPOQ a amassé environ 10 millions d’observations issues de plus de 750 000 feuillets compilés à travers tout le Québec.
Ces données ont nourri des dizaines de projets de recherche et permis de suivre en temps réel l’évolution des populations d’oiseaux. Elles ont aussi servi à détecter des tendances inquiétantes, notamment l’augmentation marquée du nombre d’espèces menacées, passé de 6 à une trentaine en l’espace de 15 ans.
« On vendait les données aux ministères de la Faune, aux firmes de consultants qui réalisaient des études d’impact, et aux universités. Pendant 20 ans, ça représentait en moyenne 100 000 $ de revenus par année », précise-t-il.
L’héritage québécois qui inspire le monde
En 2014, EPOQ a officiellement été passé à eBird, la plateforme américaine qui offre désormais une interface multilingue et une portée mondiale.

« On n’avait tout simplement pas les ressources pour gérer une base de données de cette ampleur », admet Jacques Larivée.
Toutefois, l’influence du projet québécois demeure bien vivante : l’approche développée par EPOQ inspire toujours les pratiques de collecte de données utilisées dans eBird. « Notre façon de prendre des notes est devenue un standard mondial. On peut en être fiers », ajoute-t-il avec émotion.
D’ici l’automne, il aura terminé le transfert de l’ensemble des données d’EPOQ vers eBird, qualifié de véritable travail de moine.
En 2011, Jacques Larivée a reçu le prix Charles-Eusèbe-Dionne, la plus haute distinction remise par le Regroupement QuébecOiseaux. Ce prix souligne sa contribution exceptionnelle au rayonnement de l’ornithologie au Québec. Aujourd’hui, Larivée se considère davantage comme un naturaliste que comme un ornithologue pur. Il continue de s’émerveiller de la nature qui l’entoure et d’observer avec attention tout ce qui vole, rampe ou bourdonne.
Regard inquiet sur l’avenir
Avec plus de 350 espèces recensées, dont les deux tiers migrent à l’automne, le Québec demeure un territoire riche pour l’observation des oiseaux. Ces créatures ailées constituent d’ailleurs le groupe d’animaux le plus étudié au monde, notamment en raison de leur accessibilité.
Mais Jacques Larivée tire la sonnette d’alarme. Il note un déclin généralisé des populations aviaires. « Les jeunes ornithologues ne s’en rendent pas compte. Pour eux, ce qu’on voit aujourd’hui est la norme. Ils sont très compétents, la relève est formidable. Mais si on passait notre temps à dire qu’il n’y a plus d’oiseaux, on passerait pour de vieux chialeux », dit-il, mi-figue, mi-raisin.
« Par rapport aux années 1970 et 1980, il y a beaucoup moins d’oiseaux. Et c’est extrêmement préoccupant. »