Le silence des âmes
Opinion de Johanne Fournier
Que ce soit dans l’Est-du-Québec ou ailleurs, on observe quelque chose de troublant : une lente hémorragie culturelle. Sommes-nous en train d’assister à l’effritement de ce qui constituait jadis notre âme collective ?
Opinion de Johanne Fournier
Le phénomène prend des allures dramatiques. Des lieux de culture ferment leurs portes, victimes de budgets squelettiques et d’une indifférence administrative.
À Rimouski, pensons seulement à la fermeture temporaire du Musée régional et à la faillite du Carrousel international du film, qui était un pionnier des festivals de cinéma jeunesse en Amérique du Nord et dans la francophonie. À Gaspé, à Matane et ailleurs dans l’Est, des bastions de la création artistique résistent tant bien que mal, portés à bout de bras par des bénévoles épuisés et des artistes qui jonglent entre passion et précarité.
Cette région, qui a pourtant donné au Québec plusieurs de ses voix les plus authentiques, se retrouve aujourd’hui en marge des circuits culturels. Les jeunes talents migrent vers les centres urbains, laissant derrière eux des communautés privées de leur sève créatrice.
Il faut pointer du doigt cette révolution numérique qui, sous prétexte de démocratisation, a bouleversé nos habitudes culturelles. Les plateformes de diffusion en continu remplacent souvent de belles découvertes en librairie ou chez le disquaire. Les algorithmes décident de nos goûts, nous enferment dans des bulles de consommation culturelle prévisible. La culture devient flux, consommation immédiate, zapping perpétuel.
Résistance et lueurs d’espoir
Dans les replis de cette morosité culturelle émergent des initiatives porteuses d’espoir. Des collectifs d’artistes réinventent la création collaborative, des municipalités audacieuses misent sur la culture comme levier de développement, des citoyens s’organisent pour sauver leurs lieux culturels.
À Percé, le Festival des Percéides fait rénover le Centre d’art de Percé et prévoit acquérir une maison patrimoniale pour en faire un espace de résidence d’artistes. À Mont-Joli, le Carrefour de la littérature, des arts et de la culture accueille des artistes ainsi que des auteurs de renom. À Matane, le diffuseur de spectacles Kaméléart, qui existait depuis 1982, a traversé une période difficile. L’organisme a évité la faillite auprès d’une quarantaine de créanciers à qui il devait 390 000 $. En mars 2024, il a fait peau neuve pour devenir Arts et spectacles Matanie.
Un bel exemple de résilience et de résistance est le Festival en chanson de Petite-Vallée qui, après 42 ans, n’a jamais cessé de se renouveler. Ses administrateurs ont cependant dû faire preuve de beaucoup de patience avant de réussir à reconstruire le Théâtre de la vieille forge au coût de près de 20 M$, après l’incendie qui avait rasé l’ancien bâtiment.
Urgence d’agir
Ces lueurs d’espoir ne doivent pas masquer l’ampleur du défi. Le déclin culturel n’est pas une fatalité, mais il ne se renversera pas spontanément. Il appelle des politiques publiques courageuses, un investissement massif au sein des organisations artistiques, un soutien indéfectible aux créateurs et aux diffuseurs culturels.
Dans son dernier budget, le ministre des Finances, Éric Girard, a alloué plus de 544 M$ sur cinq ans pour la culture et le patrimoine. S’il s’agit d’un pas dans la bonne direction, cette somme demeure insuffisante pour plusieurs acteurs culturels. « Le geste a été très apprécié, fait savoir la nouvelle directrice générale du Musée régional de Rimouski. Mais, il reste que les musées sont passés sous le radar. La culture, c’est un choix de société. »
Pour France Leclerc, le discours politique est parfois contradictoire. « Avec ce qui se passe aux États-Unis, on parle de l’importance de l’identité. Or, la culture est l’un des plus gros véhicules de cette identité. Mais, elle est mal aimée ! »
Dans une société où l’on parle beaucoup de mieux-être, le sport et le plein air ne sont pas les seuls remèdes. « La culture a aussi un grand rôle à jouer : elle fait du bien », estime madame Leclerc.
Acte de résistance
Cela exige une prise de conscience. Chaque livre acheté en librairie, chaque spectacle local fréquenté, chaque initiative culturelle soutenue constituent un acte de résistance contre cette dérive.
Résistons à l’uniformisation, préservons cette part d’humanité qui distingue notre société. D’ici ce temps, j’ose espérer que les mots de cette chronique puissent résister à l’oubli.
