Préservons l’agriculture d’ici
Opinion de Carol-Ann Kack
Changements climatiques, précarité financière, surcharge de travail : ce ne sont là que quelques-uns des nombreux défis auxquels fait face le milieu agricole. Alors qu’une vague de fermetures touche plusieurs maraîchers locaux, il est urgent de s’attarder aux difficultés auxquelles ces productrices et producteurs sont confrontés.
Opinion de Carol-Ann Kack
Il y a quelques années, à un moment de remise en question professionnelle, j’ai choisi de passer l’été dans les champs. J’ai travaillé pour une entreprise qui préparait des paniers de légumes biologiques.
Je savais que ce serait physiquement exigeant, que je devrais parfois travailler les fins de semaine dans les marchés publics, en plus de mes journées passées au champ et que ce ne serait pas très payant. J’étais privilégiée de pouvoir me le permettre. J’avais de l’argent de côté, pas d’enfant à charge. Bref, je pouvais vivre avec un salaire à peine supérieur au minimum et m’en sortir. Travailler sur une ferme, le temps d’une saison, c’était un cadeau que je m’offrais.
Mais pour les entrepreneurs à la tête de ces fermes, la charge de travail et la pression financière sont loin d’avoir quoi que ce soit d’un cadeau. Le couple de maraîchers propriétaires de l’entreprise pour laquelle je travaillais, avec leurs trois enfants, parvenait à fournir 125 paniers de légumes biologiques à la communauté, à participer aux marchés publics et à desservir plusieurs restaurateurs de la région.
Mon premier choc fut d’apprendre que, malgré tout cela, leur famille devait recourir aux paniers d’aide alimentaire fournis par Moisson. Comment cela pouvait-il être possible ? Alors qu’ils nourrissaient plus d’une centaine de familles pendant 15 semaines, qu’ils faisaient des conserves et de la transformation avec leurs invendus, ils avaient tout de même besoin d’aide pour joindre les deux bouts.
Précarité insoutenable
Le constat est brutal : même avec des ventes au rendez-vous, une clientèle fidèle et deux employés, le revenu qu’ils pouvaient se verser ne dépassait pas le salaire minimum. Ils vivaient dans une précarité insoutenable, alors qu’ils auraient pu gagner davantage dans un emploi beaucoup moins exigeant.
En entendant d’autres histoires similaires autour de moi, j’en suis venue à une conclusion douloureuse : ce travail, avant d’être un gagne-pain, est un véritable acte politique.
D’ailleurs, l’entreprise pour laquelle j’ai travaillé à l’été 2023 a malheureusement annoncé qu’elle ne reprendra pas ses activités pour la saison 2025.

La pandémie, qui nous a fait craindre une rupture d’approvisionnement alimentaire, a révélé l’importance de cultiver au Québec pour assurer notre résilience. Le gouvernement a commencé à parler de souveraineté alimentaire, un concept jusque-là peu présent dans l’espace public. Il est devenu évident qu’il nous fallait des productions locales et diversifiées pour assurer notre autonomie.
Mais au-delà de cette nécessité économique, ce que nous cultivons ici est le reflet de notre territoire,
de notre identité. Pensez à vos recettes familiales de bouillie de légumes, de ragoût de bœuf, ou encore aux sandwichs aux tomates fraîches du jardin. Ce qu’on cultive et qui remplit les assiettes des Québécois et des Québécoises depuis des générations fait partie intégrante de notre culture.
Que sommes-nous prêts à faire ?
Certes, le marché mondialisé nous permet d’accéder à une grande variété de produits à bas prix, mais peut-on vraiment se permettre de perdre notre agriculture de proximité ?
Depuis quelques années, on observe un enthousiasme renouvelé envers l’agriculture locale, autant chez les consommateurs que chez les jeunes qui souhaitent s’y lancer. Nous progressons. Pourtant, lorsque des fermes ferment après seulement cinq à sept ans d’opérations, force est d’admettre que quelque chose ne tourne pas rond.
Alors, une question s’impose : que sommes-nous prêts à faire, collectivement, pour permettre à l’agriculture de vivre chez nous ? Mais surtout, pour permettre aux agricultrices et aux agriculteurs d’en vivre dignement ?