Gilbert Rozon : le théâtre de l’absurde
Procès civil intenté par neuf femmes
Il fallait s’y attendre. Gilbert Rozon s’est présenté en véritable victime lors de son procès civil intenté par neuf femmes qui l’accusent de les avoir agressées sexuellement.
L’opinion de Johanne Fournier
Le contre-interrogatoire du fondateur du festival Juste pour rire s’est transformé en une performance qui prend la forme d’un spectacle. Mais, l’homme qui a bâti un empire sur l’humour n’amuse plus personne.
Depuis décembre, neuf femmes réclament près de 14 M$ en dommages à l’ex-magnat du divertissement. Face aux accusations d’agressions sexuelles qui s’étalent sur des décennies, Rozon a orchestré une défense aussi prévisible qu’indécente: tout nier, tout minimiser et retourner la situation à son avantage.
Stratégie du déni
Lors de son interrogatoire principal, Gilbert Rozon a nié avoir agressé sexuellement toutes les femmes qui ont défilé devant la juge Chantal Tremblay. Sa ligne de défense? Les demanderesses se sont « inventé une vérité », selon ses propres mots.
Une formulation particulièrement insidieuse qui suggère que neuf femmes, venues d’horizons différents et sans lien entre elles, auraient conspiré pour fabriquer des histoires d’horreur. Cette théorie du complot prend une tournure encore plus cynique. Rozon évoque « une alliance de gens contre un ennemi commun ».
L’ennemi commun, c’est lui, bien sûr: ce pauvre Gilbert, victime d’une cabale orchestrée par des femmes qui auraient décidé de s’attaquer à sa réputation et à son portefeuille.
Le procès du procès
Le plus troublant dans cette affaire, c’est la manière dont Rozon utilise les médias pour faire, comme l’a si bien résumé La Presse, « le procès de son propre procès devant les journalistes attroupés ». Une stratégie de communication bien rodée qui consiste à se poser en martyr d’un système judiciaire qui ne le comprend pas.
« Je suis traité comme un paria », se plaint-il. Cette déclaration en dit long sur sa perception de la situation. Pour lui, ce ne sont pas les gestes reprochés qui posent problème, mais les conséquences qu’il en subit. Une inversion totale des responsabilités qui révèle une incapacité profonde à saisir la gravité des accusations portées contre lui.
Entre l’arrogance et l’exaspération
Pugnace, mais excédé par moments, Gilbert Rozon a eu beau éviter de répondre directement à certaines questions, mais il a été mis face à certaines de ses contradictions durant son témoignage. Cette attitude défensive, oscillant entre l’arrogance et l’exaspération, témoigne d’un homme qui a perdu le contrôle de son
propre narratif.
Son explication pour certains comportements passés? Il les compare à des « conneries » qu’il aurait commises, comme le fait d’avoir déjà « conduit en état d’ébriété ». Une tentative maladroite de minimiser ses déclarations antérieures qui ne fait que souligner l’inconsistance de ses propos.
L’écho de 2020
Ce procès civil survient après son acquittement en 2020 dans un procès criminel. Mais cette fois, les règles du jeu sont différentes. La preuve civile obéit à des standards moins élevés et les neuf témoignages conjugués peignent le portrait troublant d’un homme qui aurait utilisé son pouvoir et son influence pour imposer
ses désirs.
Quelques dizaines de manifestantes étaient présentes devant le palais de justice de Montréal pour dénoncer Gilbert Rozon. Au-delà des enjeux juridiques, cette mobilisation rappelle que ce procès soulève des questions fondamentales sur la culture du silence qui a trop longtemps protégé les présumés prédateurs.
L’heure des comptes
En transformant sa défense en spectacle, Gilbert Rozon révèle peut-être, malgré lui, sa véritable nature: celle d’un homme qui n’a jamais cessé de considérer le monde comme sa propre scène. Mais aujourd’hui, c’est devant une juge et non devant un public conquis qu’il doit rendre des comptes.
Le verdict dira si la justice civile saura juger les faits. En attendant, Gilbert Rozon continue son numéro. Mais cette fois, personne n’applaudit.
