YouTube remplacera-t-il les journalistes ?
L'opinion de Johanne Fournier
Ils sont nombreux à y croire. Quitter la salle de rédaction, troquer le salaire mensuel contre la liberté créative, se lancer sur YouTube ou Instagram pour faire du journalisme « différent ».
L’opinion de Johanne Fournier
Alexane Drolet, Nicolas Pham, Gaspard G, Hugo Décrypte, autant de noms qui ont fait le pari des plateformes numériques. Mais, derrière cette image séduisante du journaliste-entrepreneur, se cache une réalité plus sombre.
C’est ce que révèlent les recherches de Samuel Lamoureux, professeur à l’Université TÉLUQ, qui signe un article sur le sujet publié récemment dans La Conversation.
Premier réveil brutal : l’économie des plateformes ressemble davantage au Far West qu’au salariat traditionnel. Sur YouTube, 20 % des chaînes les plus prospères captent 87 % des revenus. Pour la vaste majorité des autres, c’est la course aux miettes publicitaires. L’illusion de démocratisation s’effrite quand on réalise que seuls les « gros joueurs » signent de vrais contrats avec les marques.
Les autres survivent des pacotilles d’AdSense, une plateforme publicitaire développée par Google qui permet aux propriétaires de sites Web, de chaînes YouTube et d’applications de gagner de l’argent en diffusant des annonces pertinentes sur leur contenu.
Au-delà du cadre économique
Le problème dépasse le cadre économique. Ces plateformes transforment subtilement la pratique journalistique. Quand Google Trends suggère de parler de la mort d’un acteur américain plutôt que de la guerre à Gaza, que reste-t-il de l’indépendance éditoriale ?
YouTube ne se contente pas d’héberger du contenu : il le façonne à travers ses courtes vidéos, ses formats imposés et autres outils qui poussent vers le l’information-spectacle plutôt que vers l’intérêt public.
L’optimisation devient le maître-mot. Fini le temps où le journaliste choisissait ses sujets selon leur importance. Place aux analyses de données, aux graphiques de performance, aux méthodes de comparaison. Le créateur de contenu apprend à décrypter les algorithmes comme autrefois il s’initiait aux techniques d’enquête. Une mutation professionnelle radicale qui transforme le journaliste en ingénieur de l’audience.
« Vie algorithmique »
Cette logique d’optimisation constante ne reste pas cantonnée au travail. Elle s’infiltre dans la vie quotidienne, créant ce qu’Éric Sadin appelle une « vie algorithmique ». Ces jeunes journalistes qui rêvaient de créativité se retrouvent à penser, à sentir et à agir selon les codes des plateformes. Ils deviennent les produits de leurs propres outils.
L’ironie est cruelle : ceux qui voulaient échapper aux contraintes des médias traditionnels se retrouvent prisonniers d’algorithmes plus rigides qu’un rédacteur en chef. Au moins,
ce dernier était humain et négociable. L’algorithme, lui, ne connaît que les clics et le temps d’écran.
Cette mutation soulève une question : peut-on parler de journalisme quand l’information devient un produit d’optimisation publicitaire et quand les sujets d’intérêt public cèdent la place aux tendances d’un outil qui permet d’analyser la popularité des recherches sur Google ?
La réponse n’est pas tranchée, mais elle invite à la prudence. Les plateformes numériques ne sont ni le paradis créatif ni l’enfer absolu. Elles sont un outil puissant, mais contraignant, qui redéfinit le métier autant qu’il l’enrichit. Aux journalistes de garder leur boussole déontologique dans cette navigation périlleuse. Car devenir un robot, personne n’avait inscrit cela dans ses objectifs professionnels.
Pour répondre à la question en titre : YouTube ne remplacera pas les médias traditionnels comme Le Soir, pas plus que les journalistes, comme mes collègues et moi, qui vous informent sans se soucier des algorithmes et des outils numériques qui dictent les sujets à traiter.
