Opinion > Le vieil homme et la mort
Opinion

Le vieil homme et la mort

L'opinion de Robin Lebel
(Photo Unsplash.com – Amir Rostami)

Voici l’histoire d’un vieil homme que j’ai croisé une fois, pas plus; c’était mon voisin.

L’opinion de Robin Lebel

Voilà tout juste quelques semaines, tout en profitant du soleil qui nous gâtait, ma blonde et moi avons aperçu une voiture de patrouille qui se dirigeait vers l’ouest en direction de notre rue. Quelques minutes plus tard, une ambulance a suivi, toujours dans la même direction, cette fois avec les gyrophares allumés, mais pas de sirène, aucun bruit alarmant. J’en étais vite venu à la conclusion que c’était un inévitable décès.

En tournant le coin de la rue près de chez moi, c’était bien ça. Trois véhicules de police et l’ambulance qui étaient chez mon voisin, tout juste en face de chez moi. Je les voyais de mon salon. L’opération a duré au moins trois heures.

Le vieil homme et la solitude

C’était un vieil homme qui habitait là. Il vivait seul. Je l’avais rencontré l’année précédente. C’est à la demande de mon employeur que je m’étais rendu chez cet homme afin de lui faire payer des rénovations que nous avions faites chez lui. Je lui avais fait son chèque, qu’il avait signé avant même que j’inscrive le montant. Un homme de 86 ans, vraiment gentil et aimable. Il m’avait expliqué que nos hommes avaient sûrement brisé quelque chose chez lui parce que sa télé dans la chambre ne fonctionnait plus.

« Un fil coupé sur le toit », qu’il me disait. Comme la télé de son salon fonctionnait très bien, je savais trop bien que là n’était pas le problème.

Le monsieur était sourd. Parler au téléphone lui causait un paquet de problèmes. C’est alors que je lui avais proposé de m’occuper de tout ça. Comme il peinait à marcher, je lui avais proposé, en même temps, de tondre son gazon. Comme j’ai un petit tracteur que j’adore, je lui avais dit: « Monsieur, en finissant chez moi, je peux traverser la rue et faire le tour chez vous. Vous n’aurez qu’à me refiler 5$ pour l’essence une couple de fois dans l’été. » Je crois que je lui avais fait peur. En tout cas, c’est ce que j’avais dit à ma blonde en revenant chez moi; je m’en souviens bien.

Comme convenu, son câblodistributeur est passé chez lui dans les jours suivants. Ils ont tout changé et remis à neuf.

Tout ça me passait par la tête en regardant les policiers faire leurs travaux. Ils ont fini par défoncer la porte d’en avant. L’odeur semblait insupportable; les policiers ont sorti les masques au charbon. Le coroner est arrivé plus tard. L’équipe d’intervention était complète. Après deux heures, toujours rien, pas l’ombre d’un enfant, pas de frère ou de sœur, rien. L’homme vivait non seulement seul, mais il n’avait ni femme, ni enfants, ni membres de sa famille toujours vivants.

Ce n’est que trois heures plus tard que le premier véhicule d’intervention a quitté les lieux. La coroner essuyait ses larmes, tout en passant devant la maison. Les policiers sont sortis de là en enlevant leurs masques. Les ambulanciers ont suivi avec le corps de mon voisin enfoui dans un sac noir. La scène faisait pitié à voir. C’était d’une tristesse difficile à supporter.

La suite?

L’autre fois, on est passé dans la rue derrière chez lui. La fenêtre de la cuisine est toujours toute grand ouverte. Personne n’a mis les pieds là depuis son décès. Je me demande qui va s’occuper de la suite, puisqu’il semble ne pas avoir de descendant? Avec l’hiver qui s’en vient, qu’adviendra-t-il de sa maison avec la fenêtre ouverte? L’eau est-elle fermée? Aucune compagnie de décontamination ne s’est rendue sur place. Le corps de mon voisin gisait sur le sol depuis deux semaines, semble-t-il. Que se passe-t-il dans de telles circonstances?

Toute une vie à vivre seul et le voilà rendu de l’autre côté. A-t-il eu une vie bien remplie? Personne n’est là pour en témoigner.

Comme une chanson de mon enfance le disait si bien: « Vivre seul, ce n’est ni vivre ni mourir. » Bonne route, monsieur. Il y a au moins moi qui ai pensé à vous.

Facebook Twitter Reddit