Bienvenue dans le Far Web
L'opinion de Johanne Fournier
Il était une fois l’époque où les bandits masqués détroussaient les diligences. Aujourd’hui, ils opèrent depuis leur salon, armés d’un ordinateur portable et d’une connexion Internet. Bienvenue dans le Far Web, où les policiers sont dépassés et où nous sommes tous devenus des proies potentielles.
L’opinion de Johanne Fournier
L’escroquerie en ligne a pris des proportions industrielles. Fraude amoureuse, arnaques aux transactions, faux fournisseurs: le menu de la criminalité numérique s’enrichit chaque jour.
Mais, ce qui devrait vraiment nous inquiéter, c’est que nous n’avons encore rien vu. L’intelligence artificielle transforme le petit escroc du dimanche en véritable professionnel du crime organisé.
Lors d’une entrevue d’il y a quelques mois avec François Charron, celui-ci m’a dit sans détour: « C’est hallucinant de voir la quantité de gens qui tombent dans le piège. » Pour cause! Avec l’intelligence artificielle (IA), créer un site Web frauduleux ne prend plus que quelques minutes, de l’avis du chroniqueur techno bien connu.

Les arnaqueurs peuvent désormais bâtir des écosystèmes entiers de fausses informations si crédibles que même les plus méfiants s’y laissent prendre.
La fraude téléphonique illustre parfaitement cette évolution. Imaginez recevoir un appel de quelqu’un que vous croyez être votre petit-fils en détresse.
« Grand-papa, j’ai eu un accident, j’ai besoin d’argent, lui dit la personne au bout du fil. Mais surtout, ne le dis pas à maman. » Ému et inquiet, le grand-père transfère l’argent demandé et le tour est joué. Cette « arnaque grands-parents » fait des ravages dans nos communautés.
Créativité diabolique
Les fraudeurs n’ont pas de limites. Ils exploitent notre quotidien numérique avec une créativité diabolique. Ce courriel sur un héritage miraculeux, cette fausse alerte bancaire ou ce faux reçu d’achat Apple sont autant de pièges tendus dans notre boîte de courriels.
Sur les réseaux sociaux, les concours bidon pullulent, transformant notre désir de gagner en opportunité d’être dépouillés.

Le plus pervers? Nous alimentons nous-mêmes cette machine à frauder. Ces quiz amusants où l’on révèle notre couleur préférée ou le nom de notre animal de compagnie se transforme en pure collecte de données pour les escrocs.
En partageant notre géolocalisation, nous offrons aussi notre position sur un plateau d’argent à des criminels situés à l’autre bout du monde.
Big Brother
« Big Brother existe, mais arrêtez de croire que c’est le gouvernement qui vous surveille, souligne François Charron avec son sempiternel humour. Maintenant, c’est la mafia qui est Big Brother. » En d’autres mots, cette réalité dépasse la fiction la plus sombre.
L’hypertrucage représente l’aboutissement de cette dérive. Des personnalités comme Nathalie Simard se retrouvent malgré elles porte-parole de produits douteux, leur visage et leur voix détournés par des technologies sophistiquées. Si même les célébrités ne sont pas à l’abri, que dire du commun des mortels?
Quelques trucs
Face à cette déferlante, la parade semble dérisoire. Pourtant, quelques gestes simples peuvent nous protéger. Mettre à jour nos appareils, utiliser des mots de passe solides, activer la double authentification, installer un antivirus et un VPN. Selon M. Charron, 51% des mots de passe sont piratés en moins d’une minute.
L’ironie veut que les trentenaires et quadragénaires soient les plus vulnérables. « Ils se pensent au-dessus de ça », observe François Charron. Cette confiance mal placée en fait des cibles de choix pour des prédateurs toujours plus sophistiqués.
Le Far West avait ses règles implicites et ses héros vengeurs. Le Far Web, lui, ressemble davantage à un territoire sans foi ni loi où chaque clic peut nous mener à notre perte. Dans ce nouveau monde, la vigilance n’est plus une option, c’est une question de survie numérique.