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L’intimidation ou comment briser des vies

L'opinion de Johanne Fournier
Jenny Guillemette et sa fille Anaïs. (Photo courtoisie)

Il y a des histoires qui secouent, qui forcent à regarder en face une réalité qu’on préférerait ignorer. L’histoire d’Anaïs, rapportée dans Le Soir par ma collègue Annie Levasseur, en est une.

L’opinion de Johanne Fournier

Une adolescente de 13 ans de Mont-Joli qui se fait dire de se mettre la corde au cou et dont on insinue que celle-ci ne tiendrait pas sous son poids. Des mots qui tuent, au sens propre comme au figuré.

Quand sa mère porte plainte au criminel, on lui répond que la plainte ne peut pas être retenue. Pourquoi ? Parce que le mot « pendre » n’apparaît pas explicitement dans la phrase.

Comme si la violence des propos avait besoin d’un dictionnaire juridique pour être reconnue. Comme si une adolescente ne comprenait pas parfaitement le message derrière ces mots…

Un système qui tourne en rond

Croyez-le ou non, mais c’est depuis la maternelle qu’Anaïs subit des commentaires cruels sur son apparence physique. « La terre tremble quand elle s’en vient », lui répète-t-on, année après année.

Notre système d’éducation mise sur des contrats de non-violence, des pancartes colorées contre l’intimidation, des plans de lutte pour encadrer les interventions. Des mots, des signatures, des promesses.

Mais, pendant ce temps, Anaïs n’est plus à l’école. Sa mère l’en a retirée. Anaïs est donc isolée à la maison. Pendant ce temps, ses intimidateurs continuent d’aller en classe, comme si de rien n’était.

Quand la victime devient prisonnière

Jenny Guillemette, la mère d’Anaïs, le dit sans détour : « Les intimidateurs sont scolarisés et ma fille est pognée à la maison. » Voilà le paradoxe insoutenable : c’est la victime qui paie le prix. Elle perd son accès à l’éducation, à la socialisation, à une vie normale.

Ses parents doivent trouver l’argent pour lui faire l’école à la maison, jongler avec le congé de maternité de madame Guillemette et l’emploi de son mari, improviser des solutions dans l’urgence.

Combien de contrats de non-violence et de non-intimidation seront-ils encore signés avant de comprendre que cela ne fonctionne pas ? Combien d’Anaïs devront être retirées de l’école avant qu’on impose de vraies conséquences ?

Encore plus de sensibilisation

Dire à quelqu’un de se suicider n’est pas une chicane d’enfants. Harceler une personne sur son poids depuis l’âge de 5 ans n’est pas une phase passagère. C’est de la violence systématique qui détruit l’estime de soi et qui peut mener à des drames irréversibles.

Jenny Guillemette a raison : sensibiliser ne suffit plus. Il faut bousculer. Il faut que les conséquences soient réelles et immédiates pour ceux qui terrorisent leurs camarades.

Oui, les intimidateurs méritent de l’aide. Mais, cette compassion ne peut pas se faire au détriment de leurs victimes. On doit faire les deux : protéger ceux qui souffrent et tenir responsables ceux qui font souffrir. Cela signifie des sanctions claires, des retraits temporaires quand c’est nécessaire et d’arrêter de demander aux victimes de « comprendre » leurs bourreaux pendant qu’on cherche la solution parfaite.

Un cri qui résonne

Au moment d’écrire ces lignes, la publication de Jenny Guillemette avait été partagée plus de 8800 fois sur Facebook. Des personnalités publiques, dont l’humoriste Christine Morency et le député de Matane-Matapédia, Pascal Bérubé, ont offert leur soutien. Une population se mobilise.

L’humoriste Christine Morency (Photo Facebook)

Or, tout cela n’est pas un hasard. C’est le signe que trop de familles vivent la même impuissance face à un système qui protège mal nos enfants.

« Ça brise des vies », dit la mère d’Anaïs. Trois mots qui devraient être affichés dans chaque bureau de direction d’école, dans chaque centre de services scolaire et sur le bureau de la nouvelle ministre de l’Éducation, Sonia Lebel.

Combien de vies brisées faudra-t-il encore avant que l’on décide enfin d’agir efficacement ? Anaïs mérite mieux. Tous nos jeunes méritent mieux. Il est maintenant temps de le prouver.

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