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Constitution québécoise et avortement : fausse bonne idée

L'opinion de Carol-Ann Kack
Le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette. (Photo La Presse Canadienne-Jacques Boissinot 

La CAQ a récemment proposé d’inscrire le droit à l’avortement dans un projet de «constitution québécoise».

L’opinion de Carol-Ann Kack

L’intention parait noble, dans un contexte où les droits des femmes reculent. Pourquoi ne pas garantir noir sur blanc ce droit fondamental? Même si l’intention parait louable, cette démarche s’avère malheureusement être une fausse bonne idée. Elle soulève plus de risques que de bienfaits.

Il est important de rappeler que le droit à l’avortement est déjà reconnu et protégé au Canada. Depuis l’arrêt Morgentaler en 1988, la Cour suprême a invalidé les limites juridiques de l’avortement, considérant qu’elles portaient atteinte aux droits de la Charte canadienne.

Depuis ce moment, il n’y a aucune restriction, aucune loi quant au droit à l’avortement. Cela permet un accès libre et sûr à l’avortement partout au pays. Toutefois, à travers les années, des élus ont tenté de réintroduire à plusieurs reprises des lois afin d’encadrer (entendre ici : limiter) le droit à l’avortement.

C’est ce que recherchent activement les groupes anti-choix ou antiavortement : l’arrivée d’une loi qui ouvre la porte à être modifiée.

Outil juridique flou

C’est là qu’intervient le problème. Le projet de constitution québécoise, tel que présenté par le gouvernement Legault, n’a aucune force juridique claire. Il ne s’agit pas d’une constitution d’un Québec « pays », mais d’un texte symbolique qui agira à titre de « loi des lois », sans cadre constitutionnel reconnu.

Inscrire des droits fondamentaux dans un tel document peut donc donner l’illusion d’une protection renforcée, sans que ce soit nécessairement le cas. Pire : cela pourrait ouvrir la porte à des brèches.

Le premier ministre François Legault. (Photo courtoisie Émile Nadeau)

Plus concrètement, le gouvernement souhaite que l’on retrouve dans la constitution que l’État « protège la liberté des femmes d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse (IVG) ». Une fois écrit dans une loi, celle-ci peut être rouverte puis restreinte par diverses dispositions, comme le fait d’être libre d’avoir recours à l’IVG jusqu’à telle semaine, ou selon telle disposition ou dans tel cas.

Récupération politique ?

Ce n’est pas la première fois que la CAQ arrive avec cette idée de loi pour protéger le droit à l’avortement. En 2023, Martine Biron, alors ministre responsable de la condition féminine, était arrivée avec ce souhait de légiférer à ce sujet.

Martine Biron. (Photo Facebook)

Après de multiples consultations avec les groupes féministes, la société civile ainsi que des juristes qui soulevaient qu’une loi comportait plus de risque que de bénéfices, madame Biron avait finalement décidé de reculer et de travailler plutôt à l’amélioration de l’accès à l’avortement, ce qui avait alors été salué.

Alors que les débats ont déjà eu lieu et que les arguments ont déjà été mis sur la table, pourquoi le gouvernement revient-il avec une idée sur laquelle il avait déjà reculé ?

J’ai quand même une petite idée là-dessus. Les sondages nous disent qu’au Québec, le droit à l’avortement est non seulement respecté, mais il est aussi soutenu par un large consensus social. Si on demande à la population si elle souhaite protéger le droit à l’avortement, elle dit oui à très forte majorité.

Est-ce que cela ne serait pas une bonne raison pour la CAQ de l’intégrer à son projet de constitution, dans le but d’y ajouter un vernis féministe et progressiste ? Loin de moi l’idée que le droit à l’avortement ne mériterait pas d’être défendu, bien au contraire, mais c’est problématique s’il est ici utilisé à des fins politiques sans aider réellement la cause.

Oui, protéger le droit à l’avortement est crucial. Mais le faire dans un texte symbolique sans effets juridiques clairs et qui peut ouvrir la porte à des reculs créera sans aucun doute un faux sentiment de sécurité. Les droits des femmes méritent mieux qu’un geste politique. Ils méritent des actions concrètes.

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