Lisette Lapointe raconte son histoire
Entretien avec une témoin privilégiée de l'histoire du Québec
La militante souverainiste Lisette Lapointe est de passage dans la région pour présenter au Salon du livre de Rimouski son livre « De combats et d’amour » dans lequel elle consigne ses mémoires sur près de 500 pages.
Elle y raconte sa vie, dont plusieurs moments historiques auxquels celle qui a notamment été députée et mairesse a pu assister.
« C’est long 80 ans. Ça donne beaucoup de matière. C’est toute ma vie que j’y raconte. C’est un peu comme un journal intime. Je ne sais pas si on peut le définir de la sorte, mais tous les pans de l’histoire, la petite et la grande, toute la transformation que nous avons vus et vécus, à partir des années 1950. Je raconte aussi les bons moments, les mésaventures, les difficultés. Ce n’est pas un essai politique ou historique, ce sont vraiment mes mémoires », explique madame Lapointe.
La mise en commun des notes qu’elle a rédigées au cours de sa vie, pour former le produit final qu’est son livre, lui aura pris deux ans. Certaines notes utilisées dans sa rédaction remontent au début de sa vingtaine.
« J’ai pris des notes toute ma vie. Je ne tenais pas un journal, mais s’il survenait un événement, je le consignais à l’écrit. Je rêvais d’écrire, c’était mon rêve d’adolescente, c’était ce que je voulais faire dans la vie, mais ça a n’a pas été possible. Mes parents considéraient que journaliste ou écrivain – on ne disait pas écrivaine à l’époque – n’étaient pas des métiers de femmes. J’ai noté et j’ai conservé des dossiers et des documents. Heureusement, parce que je n’aurais pas pu tout retracer. »
Le rêve d’un pays
Parmi les événements historiques que retrace son livre se trouve le référendum pour l’indépendance de 1995, alors qu’elle était conseillère au cabinet du premier ministre Jacques Parizeau, qui a aussi été son époux, jusqu’au décès de ce dernier, en 2015.
« Les 500 jours où mon mari a été premier ministre ont été une période absolument intense, extraordinaire, où nous avions un grand rêve. On mettait tout en œuvre pour le réaliser. Si on parle de la journée du référendum, c’est sûr qu’on avait beaucoup d’espoir. On était fébrile. Le pays était là, on pouvait presque le toucher, mais malheureusement, il nous manquait 50 000 votes sur 5 millions. C’était crève-cœur. La nuit a été terrible », se rappelle madame Lapointe.
Cette grande amoureuse du Québec place toutefois beaucoup d’espoir en l’avenir.
« L’espoir renait, parce que tous les jeunes de moins de 50 ans n’ont pas eu la chance de voter à l’époque. Je crois qu’avec Paul St-Pierre Plamondon, on aura à nouveau l’opportunité de se prononcer. Ça fait deux fois que les Québécois disent non et ç’a n’a rien donné. Il n’y a pas eu d’avancées pour le Québec. Alors peut-être que la prochaine fois, on pourrait essayer le oui? »
Elle porte aussi le souhait que les jeunes générations connaissent un Québec semblable à celui de cette époque.

« J’ai espoir qu’un autre référendum aura lieu et que la réponse des Québécois sera oui. On voit la remontée de ce goût d’indépendance et je le souhaite tellement, surtout aux plus jeunes générations, de revivre l’euphorie des années Lévesque, des années Parizeau et que la réponse soit la bonne cette fois. »
Les droits des femmes et l’importance d’avancer
Son livre met aussi en perspective le cheminement des droits des femmes et rappelle que la période de l’histoire où celles-ci n’avaient ni droits ni statut ne se trouve pas dans un passé si lointain.
« Quand je me suis séparé, en 1967, je perdais mon emploi d’enseignante si ça se savait. On n’avait aucun droit. Ça prenait toujours un endosseur, pour tout. On n’avait aucun statut. Sans parler de l’inégalité salariale. Les professeurs masculins gagnaient automatiquement 10 % de plus. Les hommes avaient droit à une prime. Mais, on a avancé. Si on regarde, un peu plus loin en arrière, nous avons obtenu le droit de vote, l’accès à la contraception. C’est quelque chose que je raconte dans mon livre. J’avais une amie qui est tombée enceinte et qui ne pouvait pas le garder. Elle a voulu avoir une interruption de grossesse. Ç’a été la croix et la bannière. C’était illégal : si ça s’était su, ça constituait un crime. C’est donc quelque chose qu’on doit rappeler aux jeunes. On a fait beaucoup de chemin, mais on doit continuer. »
Elle estime qu’il est primordial de continuer sur cette voie, en raison de la fragilité de ces droits.
« Je dirais aux plus jeunes de questionner leurs mères, leurs grand-mères et les personnes qu’ils apprécient. Il ne faut pas retourner en arrière. Les droits des femmes sont tellement fragiles. On n’a qu’à regarder aux États-Unis. Il faut faire attention. Il y a quelque chose qui me fait très plaisir : je vois tellement de jeunes papas extraordinaires et qui sont égaux à leur conjointe. Il faut y tenir et s’en occuper, autant les jeunes hommes que les jeunes femmes. »
« De combats et d’amour » est paru aux Éditions de l’Homme le 29 octobre 2025.

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