Québec obligera le vouvoiement dans les écoles
En plus de l'interdiction du cellulaire toute la journée
En plus de l’interdiction du cellulaire sur le terrain de toutes les écoles primaires et secondaires durant toute la journée de classe dès la rentrée de septembre prochain, Québec annonce l’imposition d’un nouveau code de vie visant à réintroduire des notions et des obligations de respect et de civisme dans l’école, sous peine de sanctions.
Par Thomas Laberge et Pierre Saint-Arnaud– La Presse Canadienne
« Les écrans sont trop souvent l’élément déclencheur de situations d’intimidation. Trop de moqueries, trop d’insultes, trop de conflits, trop de gestes de violence prennent naissance sur les cellulaires, parfois même durant les heures de classe », a fait valoir jeudi le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, en confirmant la nouvelle ébruitée plus tôt dans la journée.
« Chaque élève et chaque membre du personnel a le droit d’évoluer dans un milieu où il se sent en sécurité, un milieu sain et sécuritaire », a-t-il ajouté en annonçant également l’introduction d’un code de vie obligatoire dans chaque école visant à promouvoir le respect et le civisme.
De plus, l’utilisation du cellulaire par les jeunes est désormais vue par les experts comme un obstacle à la socialisation qu’il est impératif de retirer.
« Quand il n’y a pas de cellulaire, les jeunes se parlent», a fait valoir le ministre tout en rapportant les propos d’un jeune selon qui «les cellulaires créent une barrière pour se faire des amis ».
« Ça va faire »
Cette mesure était la première recommandation de la « Commission spéciale sur les impacts des écrans et des réseaux sociaux sur la santé et le développement des jeunes », qui a déposé un rapport provisoire le 22 avril dernier.
La députée caquiste de Rivière-du-Loup-Témiscouata, Amélie Dionne, qui présidait cette Commission, a rappelé que des centaines de jeunes ont été rencontrés.
« La majorité des jeunes trouvent que c’est une bonne mesure, que c’est efficace. Vous savez, les jeunes sont très lucides et ils savent que c’est une source de stress. Il y avait aussi question d’intimidation. Le SPVM était venu nous dire que les cas de cyberintimidation, ça débutait souvent sur le territoire de l’école. »
La Commission, a-t-elle dit, ne voyait pas de raison de ne pas aller de l’avant dès maintenant. « Les membres étaient unanimes pour dire qu’on ne peut pas laisser passer un an de plus. Il fallait vraiment poser un geste fort. »

Le ministre abonde dans le même sens. « On jugeait que le fruit était mûr. (…) Il y a un large consensus maintenant au sein de la société québécoise pour dire: ça va faire. Ça va faire parce que ça nuit à la concentration, ça crée des distractions, ça crée de la cyberintimidation, ce n’est pas bon pour la socialisation. La cause est entendue. Si on avait attendu, les gens nous auraient reproché de taponner. Là, on ne taponne pas. »
« Le pari que nous faisons aujourd’hui, c’est que si on diminue l’accès aux cellulaires pendant la journée d’école, l’espoir que nous avons c’est que ça va diminuer le nombre d’épisodes de violence, le nombre d’épisodes d’intimidation », s’est avancé le ministre.
Réapprendre le civisme
Au-delà de l’interdiction du cellulaire, le nouveau code de vie vise à réintroduire des notions et des obligations de respect et de civisme dans l’école, sous peine de sanctions.
Dans ce cas-ci, les écoles ont jusqu’au 1er janvier pour l’introduire, mais même si elles ont une certaine autonomie dans sa préparation, certains éléments ne sont pas négociables.
Ainsi, le vouvoiement et l’usage des titres de civilité « Monsieur » et « Madame » seront désormais obligatoires, par exemple. « Le respect et le civisme ne doivent pas seulement être des valeurs enseignées, elles doivent être vécues au quotidien », a martelé le ministre.
Quant aux sanctions, Bernard Drainville en laisse les détails aux établissements, mais elles devront prévoir une gradation.

Elles pourront aller d’excuses à la suspension et, ultimement, à l’expulsion, mais pourront comprendre aussi des mesures réparatrices des élèves fautifs envers leurs victimes ou encore littéralement réparatrices dans les cas de vandalisme, par exemple. « Tu brises? Tu répares », a averti le ministre.
Les parents seront appelés à confirmer qu’ils ont pris connaissance des nouveaux codes de vie et le ministre déploie également une équipe d’intervention «pour appuyer les écoles confrontées à des situations difficiles de violence et d’intimidation».
Appui politique unanime
Les trois partis d’opposition à l’Assemblée nationale ont applaudi la mesure, jeudi.
Le Parti québécois, qui s’était saisi de cet enjeu dès 2023 et en avait fait un cheval de bataille, a d’abord salué le « retournement complet » du gouvernement dans le dossier.
« Que les jeunes puissent être entre eux, puis vraiment se retrouver au lieu d’échanger sur leurs téléphones, c’est très bénéfique. On est très heureux de cette décision », a déclaré en point de presse la députée péquiste Catherine Gentilcore.
Le chef intérimaire du Parti libéral du Québec, Marc Tanguay, qui a deux filles de 19 et 21 ans, a quant à lui observé que l’identité numérique des jeunes est devenue dans plusieurs cas « plus importante » que leur identité propre sociale.
« Lâchez vos téléphones et socialisez! » a-t-il lancé en point de presse.
Le député Alexandre Leduc, de Québec solidaire, a également salué la décision du gouvernement, disant toutefois s’inquiéter pour les équipes-écoles, qui auront très peu de temps pour s’organiser d’ici la prochaine rentrée scolaire, selon lui.
Réserves syndicales
Du côté syndical, on salue l’initiative, qui avait reçu l’appui de 76 % des membres de la CSQ, qui représente la majorité des enseignants, des professionnels et du personnel de soutien scolaire au primaire et au secondaire.
Son président, Éric Gingras, aurait toutefois voulu que le ministre aille un peu moins vite afin de répondre aux questions qui restent en suspens. « Premièrement, la police du cellulaire, qui va faire ça? » s’est-il interrogé, invoquant tant les surveillants que les éducatrices ou les enseignants.
Puis il a soulevé la question des inégalités technologiques. « Pour beaucoup de jeunes, la pièce de technologie qu’ils ont, c’est celle-là (le téléphone). Pas de tablette, pas d’ordinateur à la maison. Qu’est-ce que ça veut dire à l’école? Est-ce qu’on va réinvestir dans le parc numérique de l’école? »
Enfin, il a vivement interpellé les parents. « À la fin, il va falloir que les parents soient au rendez-vous. Le jeune, s’il n’a pas son cellulaire à l’école, mais qu’il l’a jusqu’à 4h00 du matin dans son lit, on n’aide pas sa santé mentale. Tous les chercheurs ont été clairs là dedans. Il faut que les parents soient au jeu là dessus. »