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Merci, Victor !

Opinion de Johanne Fournier
Victor-Lévy Beaulieu, un personnage plus grand que nature. (Photo Nicolas Falcimaigne – Éditions Trois-Pistoles)

Victor-Lévy Beaulieu a tourné la dernière page du livre de sa vie dans la nuit du 8 au 9 juin. Le prolifique écrivain, scénariste, homme de théâtre et éditeur a déposé sa plume pour une dernière fois. Si je profite de cette tribune pour remercier ce monstre sacré de la littérature québécoise, c’est parce qu’il a, en partie, contribué à ce que je suis devenue.

Je le prénommais Victor, alors que ses proches l’appelaient Lévy. En réalité, Lévis est le prénom qu’il avait reçu à son baptême en 1945.

Il y avait ajouté Victor en 1967 par admiration pour Victor Hugo, après avoir gagné le prix Larousse-Hachette pour son essai consacré à l’auteur de Notre-Dame-de-Paris. Donc, j’ai toujours présumé qu’il aimait bien que je l’appelle Victor.

Je découvre l’univers de Victor-Lévy Beaulieu (VLB) en 1983 lorsque j’achète son livre intitulé Jos connaissant. Je m’initie alors à une langue tout aussi unique que singulière, à un style qui m’est jusqu’ici inconnu.

VLB fait valser les mots et les expressions de gens ordinaires, donne une voix à ceux qui n’en ont pas et qui, pourtant, ont forgé ce Québec qu’il aimait tant. On y parle un joual bien différent de celui de Michel Tremblay, que Victor n’aimait d’ailleurs pas. « Il a un trop gros ego », me disait-il.

Travailler avec VLB

En 1998, un verglas historique vient de s’abattre sur Montréal. Le désir de quitter la métropole me ronge. Je veux me rapprocher de ma Haute-Gaspésie natale. Mon frère Gaston m’appelle. Il vient de voir une offre d’emploi à Trois-Pistoles.

Le mandat consiste principalement à œuvrer pour la Maison de VLB, pour un projet de musée du téléroman québécois et pour Les Productions théâtrales des Trois-Pistoles, dont le célèbre dramaturge était l’auteur exclusif. Je postule et j’obtiens l’emploi.

Dès mes premiers jours de travail, VLB me donne rendez-vous chez lui. Il habite l’ancien Manoir French datant de 1842. Nous parlons du projet de musée du téléroman québécois qu’il veut fonder à Trois-Pistoles.

« Fille spirituelle »

Pendant deux ans, les rencontres de travail se multiplient. Victor m’appelle sa « fille spirituelle ». Lors des lancements de livres publiés par sa maison d’édition, je suis là, tout autant que lors des causeries d’auteurs et des lectures publiques.

J’organise les conférences de presse, j’écris les communiqués, je prends les photos. Grâce au célèbre éditeur, j’ai rencontré une multitude d’auteurs. Lise Bissonnette est celle qui m’a le plus impressionnée, sans doute en raison de sa brillante carrière journalistique.

Victor-Lévy Beaulieu (Photo courtoisie Nicolas Falcimaigne)

Petite anecdote. Après l’une de ces causeries, VLB vient me reconduire dans sa superbe Plymouth Fury III 1966 décapotable jaune soleil. Comme j’ai du mal à attacher ma ceinture de sécurité, il me dit : « Ce n’est pas nécessaire, ce n’était pas obligatoire en 1966. »

Ne faisant qu’à ma tête, je réussis à m’attacher. Rendue chez moi, la ceinture est coincée. Me voilà prisonnière de la voiture de VLB ! Il me regarde, rit et ne fait rien pour m’aider, décidé à se payer ma tête. « Je t’avais dit de ne pas t’attacher ! » À deux, nous arrivons finalement à me libérer.

Grâce à l’homme de théâtre, j’ai aussi rencontré d’illustres comédiens, pour lesquels je gérais les relations de presse. Un jour, à la demande de VLB, je suis allée chercher l’actrice Nicole Leblanc et la dramaturge Abla Farhoud à Québec pour les amener à Trois-Pistoles. Inutile de vous dire combien la route a été agréable !

Pendant ces années, VLB connaissait beaucoup de succès avec sa série Bouscotte. Or, le 29 septembre 1999, Jean-Louis Millette est foudroyé par une crise cardiaque. Non seulement son personnage de Manu Morency devient orphelin, mais VLB est anéanti.

Comme les demandes d’entrevues fusent de partout, il me demande d’organiser un point de presse et de diriger les questions des journalistes. Quel sombre moment ce fut…

Merci, Victor, de m’avoir donné ma chance et d’avoir contribué à ce que je revienne en région. Merci de m’avoir encouragée à écrire. Sans le savoir, tu as contribué à ce que je revienne à mes premières amours : le journalisme.

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