Opinion > Quand la bureaucratie étouffe la générosité
Opinion

Quand la bureaucratie étouffe la générosité

Les vies humaines derrière les statistiques d’immigration
La famille de Marie et Sylvestre sengiyumva vit dans le camp de réfugiés de Nakivale, en Ouganda. (Photo courtoisie Sylvestre Nsengiyumva)

Il y a des histoires qui nous rappellent brutalement que, derrière les statistiques d’immigration, se cachent des vies humaines, des drames personnels et, parfois, une générosité qui défie l’entendement. L’histoire de Gaston Bourdages de Rimouski et de ses trois charitables complices en est un exemple saisissant.

L’opinion de Johanne Fournier

Tout commence par un message Facebook d’un réfugié congolais au camp de Nakivale en Ouganda. Sylvestre Nsengiyumva tend la main virtuellement à Gaston Bourdages, un parfait inconnu.

Les proches de Gaston le mettent en garde, soupçonnant l’une de ces arnaques qui pullulent sur les réseaux sociaux. Mais, fort de son expérience d’évaluateur d’assurances, l’octogénaire creuse, questionne, vérifie. Puis, il découvre une vérité qui glace le sang.

Marie, la femme de Sylvestre, a été violée par des soldats sous les yeux de son mari. Deux sœurs de ce dernier ont été assassinées après que l’homme ait empêché qu’elles subissent le même sort.

C’est donc l’histoire d’une famille entière contrainte à l’exil, échouée dans un camp qui abrite plus de 150 000 âmes en détresse. Voilà la réalité brutale qui se cache derrière une simple demande d’amitié Facebook.

Face à cette tragédie, Gaston Bourdages, sa femme Denise Legaré, sa sœur Marie Legaré et Léandre Lachance décident d’agir. Ils sortent alors leur chéquier et déposent 30 700$ entre les mains d’un responsable religieux censé orchestrer le parrainage. Cet argent est remis par pure humanité.

Dix mois plus tard, le quatuor se rend à l’évidence que rien n’a été fait. « Trahison », lâche avec amertume monsieur Bourdages. Heureusement, l’argent est rendu aux quatre aînés, mais le projet s’enlise dans les méandres administratifs.

Les limbes de la bureaucratie

Le véritable scandale de cette histoire, ce sont les politiques en matière d’immigration devant lesquelles se heurtent les bons samaritains. Quand monsieur Bourdages écrit au ministère fédéral de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, au ministère québécois de l’Immigration ainsi qu’aux députés locaux, il se bute contre des politiques suspendues, des programmes gelés.

Le silence radio qui dure depuis ce printemps en dit long sur les limbes de l’administration publique. Pourtant, cette famille de six enfants pourrait peut-être devenir une planche de salut pour un village de la région, dont la seule école est menacée
de fermeture.

L’expertise de Sylvestre, menuisier de métier, pourrait sans doute être utile pour certaines entreprises.

Tout le monde pourrait probablement y gagner, mais les politiques en décident autrement.

Campagne de financement

Ce qui frappe dans cette histoire, c’est l’extraordinaire résilience de la générosité humaine face à l’indifférence administrative.

Même après avoir versé plus de 30 000$ pour l’installation de cette famille, nos quatre bienfaiteurs cherchent maintenant une façon de pouvoir organiser une campagne de financement en vendant les 25 toiles, dont un ami artiste-peintre, Claude Rollin, leur a fait don.

Un ancien collègue de Gaston Bourdages vient d’ajouter 500$ au montant, tandis que la communauté religieuse du frère de monsieur Bourdages promet entre 10 000$ et 15 000$ si le projet débloque.

Entretemps, « Papa Gaston » et « maman Denise », comme les appelle la famille Nsengiyumva, continuent d’envoyer de l’argent chaque mois au camp de Nakivale. Ils ont reçu une chanson enregistrée par Sylvestre et ses enfants. Un cadeau qui vaut tous les reçus de charité du monde, selon Gaston Bourdages.

Alors que nos gouvernements ergotent sur les quotas et les critères d’admissibilité, Sylvestre et sa famille croupissent dans un camp
de réfugiés.

Pendant ce temps, quatre citoyens ordinaires nous donnent une leçon d’altruisme extraordinaire. Ils nous rappellent que la vraie politique se fait parfois loin des parlements. Elle se fait dans le silence de gestes généreux comme le leur.

Facebook Twitter Reddit