L’école sans cellulaire : révolution ou régression ?
L'opinion de Johanne Fournier 
                                      Après des années de débats et de demi-mesures, le Québec a tranché : l’actuelle rentrée scolaire marque le début de l’interdiction du cellulaire pendant les cours, les pauses et le dîner ainsi que sur le terrain de toutes les écoles publiques et privées.
L’opinion de Johanne Fournier
Finie l’époque où les sonneries et les notifications ponctuaient les cours et où les regards fuyaient vers les écrans.
Cette interdiction complète succède à celle de janvier 2024, limitée aux salles de classe. Une première étape qui, semble-t-il, n’avait pas changé grand-chose : les téléphones disparaissaient des pupitres, mais refaisaient surface dès le retentissement de la cloche, créant une schizophrénie technologique entre concentration forcée et hyperconnexion.

Arguments favorables
Avec le vouvoiement du personnel de l’école, l’annonce du ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, s’inscrit dans un plan visant à « renforcer le civisme » scolaire. Mais, au-delà de la rhétorique politique, cette mesure touche un enjeu générationnel profond, en remettant en question notre rapport collectif à la technologie et à l’attention.
Les arguments favorables abondent. Des études démontrent les effets néfastes de l’hyperconnexion sur la concentration, le sommeil et les relations sociales des adolescents. Dans les couloirs, cette génération a les yeux rivés sur les écrans, communiquant par messages textes plutôt qu’en se regardant dans les yeux. L’école se devait de réagir.
Ombres au tableau
Cette interdiction soulève néanmoins des questions pratiques : comment les parents joindront-ils leurs enfants lors d’une urgence ? Comment éviter de creuser le fossé entre l’école et la réalité technologique quotidienne des jeunes ? Comment gérer les exceptions pour les élèves ayant des besoins particuliers ?
C’est le cas de Jeffrey-Lou St-Hilaire, qui présente un trouble du spectre de l’autisme. Cette nouvelle règle a pour effet d’intensifier l’anxiété de cet élève de l’école Paul-Hubert de Rimouski. Pour celui qui trouve refuge dans la musique québécoise, cette restriction représente une épreuve. « Durant les pauses et le dîner, j’avais toujours mon téléphone pour écouter de la musique », explique le jeune homme. La musique et le sport sont ses ancrages, ses façons de gérer son stress et ses angoisses.
Paradoxe
Bannir les cellulaires ne règlera pas les problèmes d’attention ou de socialisation comme par magie. Ces appareils seront là à la sortie, plus séduisants après huit heures de sevrage forcé. L’enjeu réside moins dans l’interdiction que dans ce que l’école proposera pour combler ce vide.
Cette mesure révèle un paradoxe contemporain. Alors que le monde du travail est de plus en plus axé sur les technologies numériques, l’école prône le retour à l’analogique. Une contradiction qui interroge : formons-nous nos jeunes pour le monde de demain ou pour celui d’hier ?
Pari audacieux
Cette interdiction constitue un pari audacieux. Elle mise sur l’idée que l’apprentissage nécessite cette notion si rare : la capacité de se concentrer sur une seule chose à la fois.
Le véritable test ne se fera pas en septembre, quand la nouveauté suscitera l’attention, mais dans les mois suivants. Il faudra prouver que l’école sans téléphones portables peut être plus captivante que le monde hyperconnecté environnant. Voilà tout un défi pour le monde de l’éducation qui doit réinventer sa pertinence à l’ère du numérique.
En attendant, préparons-nous à redécouvrir les conversations de corridor et les regards qui se croisent. Pour apprendre à vivre en société, peut-être faut-il d’abord apprendre à se regarder ?
 
                
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