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Deux sollicitudes : Margaret Atwood et Victor-Lévy Beaulieu

Entretiens entre les deux piliers du monde des lettres
Margaret Atwood et Victor-Lévy Beaulieu (Photo courtoisie)

Il y a 30 ans, en 1995, la Rimouskoise Doris Dumais, qui travaillait à la radio de Radio-Canada, a vu se réaliser un projet invraisemblable. Réunir dans une série d’entretiens pour la radio deux sommités du monde littéraire : l’Ontarienne anglophone Margaret Atwood et le Québécois francophone Victor-Lévy Beaulieu.

VLB a donc passé une semaine à Toronto auprès de madame Atwood, en mars 1995, alors qu’elle lui a rendu la politesse, en mai, à Trois-Pistoles.

Ces deux piliers du monde des lettres ne sont pas seulement des écrivains prolifiques. Ils ont tous les deux une connaissance encyclopédique de la littérature occidentale.

Cela rend fascinants les échanges érudits et courtois qu’ils ont tenus, dans le cadre de cette série radiophonique initiée par Doris Dumais. Le technicien Jacques Plante a fait partie de l’équipe de réalisation.

Un livre a été publié pour raconter ces entretiens, sous le titre Deux sollicitudes. La sollicitude, selon Le Robert, c’est « une attention soutenue et affectueuse, un témoignage de cette attention ». Un tendre jeu de mots avec les « deux solitudes » culturelles qui se tiraillent depuis toujours au Canadaé C’est VLB lui-même qui avait proposé ce titre !

Le livre a aussi été traduit en anglais (McClelland & Stewart) et publié en Europe.

Auparavant, Doris Dumais avait été l’instigatrice de longues entrevues radiophoniques avec des écrivains comme Roger Lemelin, Gratien Gélinas et Pierre Gauvreau. Mais une joute verbale entre deux vedettes comme VLB et Atwood, un francophone et une anglophone, c’était un pari inhabituel. Ça représentait tout un défi !

« J’ai senti entre les deux écrivains un grand respect et de l’estime l’un pour l’autre, se rappelle Doris. Ce sont deux humanistes, des artistes engagés dans leur société, des esprits raffinés. Les deux ont une grande sensibilité et un bon sens de l’humour, et ça se remarque clairement dans les discussions qu’ils ont eues ensemble pour la radio. Tout ça en français ! »

Motivation à écrire

Bien sûr, il est beaucoup question de littérature canadienne et américaine, des motivations qui poussent à écrire, des personnages et des thèmes qui sont abordés, des différences dans l’écriture si on fait un roman, du théâtre ou de la poésie.

VLB livre un hommage émouvant à l’auteur Jacques Ferron, qui l’a motivé à écrire. Dans le livre, on discute de la « double vie » que mène un écrivain, partagé entre son quotidien et l’univers de ses personnages. On parle aussi du monde de l’édition et de ses soubresauts.

Doris Dumais (Photo courtoisie)

Les deux déplorent le manque d’intérêt pour la lecture chez une grande partie des citoyens, qui préfèrent la télévision. Imaginez ce qu’ils diraient aujourd’hui avec les cellulaires qui engloutissent le temps et l’énergie.

Si Margaret Atwood affirme que la littérature canadienne-anglaise a longtemps été occultée par celle des États-Unis, pareillement, VLB estime que la littérature québécoise a vécu dans l’ombre de celle de la France.

Rapport à la censure

Les deux auteurs racontent aussi les expériences qu’ils ont vécues par rapport à la censure. Selon eux, les questions de sexe et de religion qui sont abordées dans la littérature deviennent souvent des sources de problèmes, en particulier dans les milieux scolaires.

À l’approche du référendum québécois de 1995, le sujet a été abordé par les deux écrivains, mais on sent ici une réserve certaine dans le propos. Margaret Atwood se préoccupait notamment de la place des autochtones si le Québec devenait souverain.

C’est impressionnant de voir comment ces deux grands auteurs connaissent en profondeur ce que l’un et l’autre ont publié dans leur vie. Plus encore, ils abordent les questions sociales et littéraires d’ici et d’ailleurs avec une érudition vertigineuse. Deux intellectuels d’envergure !

Deux sollicitudes, entretiens entre Margaret Atwood et Victor-Lévy Beaulieu, Éditions Trois-Pistoles, 1996, 288 pages. 

Pour d’autres chroniques, consultez la section « Lecture » dans Le Soir.ca

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