Une victime de violence conjugale et un ex-prisonnier travaillent main dans la main
Ils préparent un livre «coup de poing» sur la violence et l'emprisonnementUne auteure de Saint-Jean-Port-Joli, Sylvie Croteau, et un auteur de Saint-Mathieu, Gaston Bourdages, travaillent main dans la main à l’écriture d’un livre qui portera sur la violence conjugale, l’emprisonnement et le pardon.
Rien d’extraordinaire, direz-vous peut-être, mais ce qui l’est, c’est que la femme a déjà été victime de violence conjugale, alors que l’homme a été emprisonné jadis pour un homicide au second degré sur sa conjointe commis en février 1989. Il a été emprisonné pendant trois ans.
« Il s’est écoulé 23 ans et quatre jours depuis ce temps et pour moi, c’est la vraie sentence et je ne calcule pas celle de la société, qui ne finira jamais », note l’homme.
Ils ont pourtant décidé de travailler main dans la main pour rédiger un livre à forte dimension humaine dont le titre provisoire est « Il pleure dans mon cœur, derrière les barreaux. »
« Depuis un mois, il y a une conjoncture d’événements qui fait en sorte que notre livre s’avère des plus pertinents. Les besoins sont grands. La pandémie accentue la détresse psychologique et les problèmes de violence conjugale », remarque monsieur Bourdages, dont c’est le quatrième ouvrage.
10 commandements violés
« Notre personnage principal est un homme qui a violé les 10 commandements de Dieu. On ne parle pas de religion, ici, mais de principes moraux. Il a volé, tué, calomnié, il a tout fait et il dit même à son compagnon de cellule que s’il y avait eu un 11e commandement, il l’aurait sans doute aussi violé. C’est un sujet qui a un lien avec mon histoire, mais de l’ordre de l’autofiction », précise aussi Gaston Bourdages.
Les deux auteurs ont aussi choisi une façon originale de travailler en collaboration. Ils écrivent chacun de leur côté la portion de l’histoire qui les rejoint le plus. Monsieur Bourdages écrit sur les hommes emprisonnés et madame Croteau se concentre sur un personnage qui est la mère d’un autre détenu, le tout pour rendre le livre des plus réalistes.
Victime pendant 35 ans
Monsieur Bourdages témoigne que leur association peut sembler très étonnante. « Sylvie a été victime de violence conjugale pendant 35 ans alors que moi j’ai été trouvé coupable d’un homicide au second degré. Nous nous sommes assis ensemble une bonne fois et on s’est demandé « est-ce qu’on peut penser faire quelque chose ensemble? ». J’ai eu le bonheur de publier une série d’articles dans le journal Montréal Campus de l’UQAM en mars 2019. Ça a commencé là, dans le fond. On m’a dit qu’il y avait quelque chose d’intéressant à faire avec mon histoire, soit un livre ou un film. J’ai alors appelé Sylvie parce qu’on avait échangé lors d’un salon du livre et on était restés en contact. »
Enrichissant
« C’est une expérience humaine en même temps qu’une expérience de littérature. Notre relation surprend bien du monde. Moi, je vois ça d’un très bon œil. Ça m’enrichit dans le sens où ça me permet de comprendre un peu ce qui amène quelqu’un à être aussi violent, de voir l’autre côté de la clôture. Écrire, ça aide au processus de guérison. Je ne vous cacherai pas que la première fois que j’ai rencontré monsieur Bourdages, je n’ai pas reculé. Il a le mérite d’être devenu un autre homme et un monsieur très intéressant. Il y a beaucoup de circonstances qui ont fait qu’il a posé ce geste. Je me sens très confortable de travailler avec lui », révèle pour sa part madame Croteau.
Violence omniprésente
« Nous espérons que notre ouvrage va connaître un grand succès. La conjoncture s’y prête bien. La violence est omniprésente. Il y avait encore des cas de violence conjugale aux nouvelles, hier. Nous sommes « dedans » et je pense que ce qui va faire son originalité, c’est qu’on verra bien ce qui se passe de l’autre côté de la clôture. Dans le livre, il y a la partie d’un personnage qui s’appelle Ben et qui incarne Gaston dans ce qu’il a vécu. L’autre partie, la mienne, est celle de la mère de « JF », un autre prisonnier qui donne la réplique à Ben dans notre histoire. C’est un p’tit « bum » mais il fait réaliser des choses à Ben », résume également madame Croteau.
« Il y a plusieurs types de violence conjugale : physique, monétaire, sexuelle, psychologique et verbale. Nous souhaitons entre autres faire découvrir aux gens qu’il n’y a pas qu’une seule forme de violence conjugale », décrit Sylvie Croteau.
De la série au livre
« Elle m’a dit que ça l’intéressait. On a écrit trois épisodes et demi de notre projet de série. Il y avait des épisodes de 60 minutes, donc, beaucoup de matériel. On l’a soumis à trois producteurs et notre projet a malheureusement été rejeté par les trois. Nous sommes ensuite allés rencontrer le copropriétaire d’une école de cinéma à Québec qui nous a démontré de l’intérêt. Quand on a essuyé nos trois revers, on a mis le projet de série sur la glace et nous avons décidé de nous retourner de bord et de faire un livre », précise Gaston Bourdages.
Bref, le livre pourra toujours servir à la poursuite du projet de série. « En temps et lieu, on fera appel au propriétaire de l’école de cinéma de Québec. »
L’histoire
« Le projet que nous nourrissons actuellement, ce sont trois tomes. Sylvie a commencé ce matin le chapitre 13 du tome numéro un. Nous ne savons pas encore combien il y aura de chapitres. On vise environ 340 pages. Notre histoire commence par une scène de viol. C’est un viol qui a lieu dans les années 1940. C’est un époux qui agresse son épouse, mais dans un contexte très respectueux. Par la suite, 45 ans plus tard, deux gars sont assis à une table dans un pénitencier. Un des deux personnages serait l’enfant issu du viol », relate le co-auteur.
École de pensée
Une psychologue a été consultée pour la rédaction du livre. « Elle est issue d’une école de pensée qui reconnaît l’importance des sentiments habitant autant la femme que l’homme, lors d’une relation sexuelle. Ça va loin! Elle m’a dit « monsieur, c’est très plausible l’histoire que vous voulez raconter. ». On espère lancer notre livre en septembre 2021 au plus tard. »
Grande introspection
« On se rencontre environ une fois par mois. On travaille chacun depuis la maison. Je suis l’instigateur pour ma partie et elle fait la sienne avec son personnage de femme victime de violence conjugale. C’est un travail qui demande une grande introspection. Moi, je lui dis ce que je vois en tant qu’ex-agresseur et elle me donne sa vision de victime », décrit encore monsieur Bourdages.
« Notre but est de sensibiliser le public. C’est difficile d’être objectif, mais on pense que l’objectif humanitaire est bien là. À travers mon expérience, j’ai eu des relations avec des intervenants sociaux, qui viennent enrichir notre histoire. J’ai fait trois psychoses : une émotionnelle, une rationnelle et une spirituelle. On descend dans un cylindre noir, on arrive au bout et on ne sait plus où on en est », témoigne enfin monsieur Bourdages.