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L’Auberge du Français

Cet établissement situé au Bic a été l'un des fleurons de l'hôtellerie dans l'Est du Québec
L’Auberge du Français, carte postale, collection Richard Saindon

C’est en 1937 que s’amorcent, dans un fabuleux décor, là où se trouve aujourd’hui le principal point d’entrée du Parc national du Bic, les travaux de construction d’un complexe touristique qui sera connu sous le nom d’Auberge du Français.

Qui était ce Français ?

Comme son nom l’indique, l’auberge a été fondée par un immigrant français. Il se nommait Pierre Baudry. Fils d’un ingénieur et industriel, Pierre Baudry est né le 19 février 1900 à Angoulème, une localité du Sud-Ouest de la France située à 120 kilomètres de Bordeaux.

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Pierre Beaudry fondateur de l’Auberge du Français. Collection Richard Saindon

Durant la Première Guerre mondiale, Pierre Baudry abandonne ses études pour s’enrôler à Toulon le 7 septembre 1917 comme fusilier marin. Il monte à bord du cuirassier Amiral Tréhouart et participe avec l’escadre française à la campagne d’Orient. Il est impliqué dans la bataille des Dardanelles dans l’actuelle Turquie et dans un autre affrontement à Salonique (Thessalonique) en Grèce où il est blessé peu de temps avant l’Armistice. À sa sortie de l’hôpital en 1918, il est affecté à la base navale de Constantinople (Istanbul) et il s’embarque sur le navire de transport russe Imperator Nikola 1er pour participer, jusqu’en janvier 1920, à l’évacuation des réfugiés de la Mer Noire jusqu’aux ports de la Méditerranée.

Pierre Baudry rentre ensuite en France où il est affecté à l’école d’aviation maritime jusqu’au 11 septembre 1920. Démobilisé, il se rend à Nice et fait un stage au Grand-Hôtel. De là il se dirige vers la Suisse pour y poursuivre des études à l’École hôtelière de Lausanne.

En 1925, Pierre Baudry émigre au Canada. Il entre au service de la compagnie maritime Clarke Steamship. Il occupera, jusqu’en 1936, les fonctions de cuisinier à bord des navires, notamment le Sable 1. Ces bateaux transportent passagers et marchandises dans de nombreux ports du Saint-Laurent. Lorsque Jules-A. Brillant fonde en 1930 la Compagnie de transport du Bas-Saint-Laurent, il loue un navire de la Clarke Steamship, le North Shore. On peut présumer que c’est de cette façon que monsieur Beaudry découvre davantage la région.

En 1930, Pierre Baudry épouse Antonia Roy, une femme de 28 ans. Ils auront deux enfants, Maurice et Pierrette.

En 1936, Pierre Baudry s’installe au Bic où il achète l’hôtel Laval. Parallèlement, il jette les bases d’un nouvel établissement touristique qui aura pour nom l’Auberge du Français. Il commence par la construction, dans l’anse à Doucet, de petits chalets qu’on appelait à l’époque des « cabines », une forme d’hébergement très populaire à cette époque au Québec. Un entrefilet dans le Progrès du Golfe du 29 juillet 1938 nous dit ceci : « M. Pierre Baudry a ouvert aux touristes de magnifiques petits chalets, coquets et confortables, à l’entrée du Bic ». Viendra ensuite la construction de la belle auberge de pierre dotée d’une vaste salle à manger et d’une douzaine de chambres à l’étage. L’inauguration officielle se déroule le samedi 13 juillet 1946. Des motels s’ajouteront ultérieurement. La table de l’Auberge du Français sera renommée pendant plusieurs années, notamment sous la direction du chef Jean Thibault.

La Guerre

La Deuxième Guerre mondiale vient chambouler la vie personnelle et professionnelle de monsieur Baudry. En octobre 1940, il vend l’hôtel Laval du Bic avant de s’enrôler volontairement dans l’Armée canadienne. Compte tenu de son expérience militaire, on lui accorde le grade de sergent. Il est affecté au Camp 55 de Rimouski où on le retrouve en charge du mess des officiers. Démobilisé en 1946, il retourne à ses affaires. Notons qu’il sera en 1965, le président fondateur de la Chambre de Commerce du Bic.

Un centre de ski

Le 15 décembre 1951, Pierre Baudry ouvre l’accès au public à un centre de sport d’hiver aménagé à l’arrière de l’Auberge du Français. Avec l’aide de Wilfrid Ouellet et de Jacques Tremblay, une remontée mécanique a été installée en bordure de la route 10 (l’actuelle route 132), le long de la grande côte encore connue aujourd’hui sous le nom de côte de l’Auberge-du-Français. Une pente pour la pratique du ski alpin est aménagée ainsi qu’une glissoire pour les toboggans et traîneaux. Cette dernière bénéficie même d’un éclairage. Un chalet pour les skieurs complète l’installation.

Une vue d’ensemble de l’Auberge du Français avec les cabines et les motels

La fin d’un monument

En 1969, la santé de Pierre Baudry décline et il décide de mettre en vente l’Auberge du Français. « Établissement avantageusement connu comprenant hôtel, motels, chalets et terrains », peut-on lire dans la publicité. Monsieur Beaudry décède trois ans plus tard, en 1972. L’établissement va connaître des hauts et des bas et tombe finalement en décrépitude.

Une vue de la réputée salle à manger de l’Auberge du Français

En 1977, le gouvernement de René Lévesque adopte la Loi sur les Parcs, ce qui lance notamment le processus de création du Parc national du Bic. Parmi les propriétés expropriées pour le futur parc, il y a l’Auberge du Français. Dès 1979, des crédits de 400 000 $ sont consentis pour l’aménagement du Parc du Bic. Cette somme sert pour la confection des plans et devis, la création d’un premier terrain de camping et des travaux de restauration du bâtiment de l’Auberge du Français. La même année, le Ministère du Tourisme, de la Chasse et de la Pêche lance des soumissions afin de trouver un concessionnaire pour exploiter l’ancienne auberge. Il est spécifié que l’établissement doit être ouvert à l’année. Il en sera ainsi pendant six ans. Parmi les exploitants de l’établissement durant cette période on note Robert Carrier et Claude Sénéchal. Monsieur Carrier doit fermer les portes en 1983, faute de rentabilité, particulièrement en saison hivernale. Les personnes intéressées à exploiter l’auberge se font de plus en plus rares. Ainsi en 1984, à la fermeture de l’appel d’offres le 31 mai, le ministère du Loisir, de la Chasse et de la Pêche n’a reçu aucune soumission. Dans une chronique publiée dans le cahier Voyages du quotidien Le Soleil du 22 juin 1985, sous la plume du journaliste Jean-Didier Fessou, on découvre que le bel hôtel a perdu de sa superbe. Il écrit dans un papier traitant du tourisme au Bic : « Et puis, bien sûr, le fameux Vieux manoir du Français. Encore que ce restaurant ne se distingue ni par la qualité de sa nourriture, ni par l’originalité de son décor. Propriété du gouvernement du Québec, ce vieux manoir n’a pas échappé à une certaine standardisation administrative : décor fonctionnel mais anonyme, service peu empressé, carte quelconque ».

La triste fin d’un beau bâtiment

Le 27 mai 1986, l’Auberge du Français est lourdement endommagée par un incendie. Il a été établi que les flammes ont pris naissance dans la pièce du sous-sol où était située l’entrée électrique, juste sous les cuisines. Les dégats sont évaluées à 500 000 $. Le ministère du Loisir de la Chasse et de la Pêche souhaite reconstruire et aménager en plus de la salle à manger, le centre d’accueil des visiteurs du Parc national du Bic. Or, le 20 novembre 1988, un incendie d’origine suspecte rase totalement cette fois la belle auberge. Le sinistre prend naissance au deuxième étage et l’électricité n’est pas en cause car les fils sont débranchés depuis le premier sinistre. Cet événement survient à la veille du lancement des appels d’offres pour le réaménagement de l’auberge. À la suite de cette histoire, il faudra attendre plusieurs années avant que le Parc national du Bic soit doté d’un véritable centre d’accueil.  

Mentionnons enfin que le 29 mars 1989, la Commission de toponymie du Québec donnait le nom de Pierre Baudry à la halte routière située en face de l’entrée principale du Parc national du Bic, au pied de la grande côte de l’Auberge-du-Français.

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