Un système qui doit se réformer
Emmanuelle Grondin et Christine Crépin racontent leur histoireEmmanuelle Grondin et Christine Crépin travaillent toutes deux comme saisonnières dans le domaine du tourisme au Bas-Saint-Laurent.
À l’approche de leur fin de contrat, elles nous alertent sur le manque de cohérence entre les nouvelles mesures concernant l’assurance emploi et la crise actuelle de manque de main-d’œuvre qui sévit dans l’industrie touristique.
Depuis le 24 septembre 2022, pour se qualifier à l’assurance emploi pour des prestations régulières, il faut désormais justifier 700 heures de travail plutôt que 420 heures. Nous croyons que dans un milieu en pleine pénurie de main d’œuvre, un milieu qui sort à peine de la crise provoquée par la COVID-19, ces changements arrivent beaucoup trop tôt.
Certes, il faut inciter les gens à retourner sur le marché du travail. Mais pourquoi le faire en coupant l’herbe sous le pied des travailleurs saisonniers ? Ces derniers n’ont pas encore fini leur saison et n’auront pas assez d’heures pour avoir accès à l’assurance emploi.
Notre employeur, qui soit dit en passant met en oeuvre une mission que lui confie le gouvernement provincial, est conscient de la pénurie de main-d’œuvre et de la diminution du pouvoir d’achat. Il nous a attribué en début de saison une prime de haute saison touristique de 2,50$ de l’heure et une prime de soutien au transport de 5$ par jour. Ces deux incitatifs ont pour objectif premier la rétention de la main-d’œuvre.
En modifiant les critères d’admissibilité à l’assurance emploi, le gouvernement fédéral va complètement à l’encontre des mesures instiguées par le provincial.
Perdre une main-d’œuvre qualifiée et motivée
Comment peut-on retenir la main-d’œuvre en lui donnant des avantages d’un côté mais en les lui retirant de l’autre? Quel travailleur saisonnier acceptera un contrat en sachant qu’il n’aura pas de filet de sécurité à la fin de celui-ci ? De plus, à chaque saison les employeurs devront déployer de nouveaux efforts pour trouver et recruter une nouvelle main-d’œuvre dans une industrie déjà en pénurie.
Ainsi, nous ne contribuons pas à régler le problème, pire encore, nous ne faisons que la reconduire à la saison suivante. La pénurie sera encore présente, et les employeurs auront perdu une main-d’œuvre qualifiée et motivée par le service à la clientèle.
Dans une région comme le Bas-Saint-Laurent, le tourisme représente une source de revenus non négligeable. Et comme dans bien des régions, les emplois touristiques sont des emplois saisonniers. Durant toute la période estivale, nous accueillons, orientons et faisons la promotion de nos régions. Nos compétences sont reconnues par notre employeur.
Il serait alors judicieux que les employés en place soient reconduits dans leurs fonctions d’année en année pour ainsi maintenir une qualité d’accueil et de service au sein de nos établissements, provinciaux et fédéraux.
Condescendance
Sur une note plus personnelle, nous ajouterions qu’il y a cette condescendance que l’on retrouve trop souvent dans le regard posé sur les personnes faisant appel à l’assurance emploi. Être chômeur, ce n’est pas être paresseux.
Nous avons besoin du chômage, non pas par paresse, mais bien pour nous donner le souffle nécessaire entre deux contrats saisonniers. Cela nous permet également de développer des projets artistiques et personnels pour lesquelles la recherche de financement est longue.
Christine travaille dans le milieu de la culture. Pour elle, les périodes de chômage ne sont pas des périodes non productives. Elles lui permettent de travailler sur des projets de documentaires, de films, de scénarios ou de séries. Vous savez, ces trucs que l’on classe sous l’appellation : culture.
Une production culturelle, ça se réfléchit, ça se construit, ça se prépare. Sans chômage, pas de temps pour y travailler et au final, une perte pour le rayonnement du Québec, de la langue et de sa promotion. Certes, il y a du financement dans le milieu culturel, mais soyons honnête, il n’y en a pas pour tous le monde.
En France, les artistes bénéficient du statut d’intermittent du spectacle. Ce statut leur assure un revenu entre leurs différents contrats, ce qui leur permet de rester productif sans aller travailler en dehors de leur milieu.
Une opportunité pour travailler
Emmanuelle est en rémission d’un cancer. Elle aussi travaille dans la culture. Elle prépare des ateliers interculturels qui déboucheront sur un spectacle qui réunira québécoises et nouvelles arrivantes pour parler de vivre-ensemble, de musique et de danse. Le chômage aurait été une opportunité pour travailler à la création, la réalisation et la diffusion de ce spectacle. Peut-être que la promotion du français et du vivre ensemble ne sont pas des sujets centraux…
Être au chômage ce n’est pas abuser d’un système généreux. Le chômage c’est aussi les cotisations que nous versons à chaque paie. Être au chômage ce n’est pas être improductive, c’est travailler à la préparation de productions culturelles qui enrichissent nos milieux.
Être au chômage ce n’est pas quêter, c’est aussi une manière d’être utile à la société, d’être dans la réflexion, la contribution et l’engagement.
Le système doit se réformer pour s’adapter aux réalités des travailleurs autonomes qui sont de plus en plus nombreux et ce peu importe le milieu de travail. Il est temps de voir le marché du travail comme un milieu fluide et en mouvement et appuyer ceux qui nourrissent la culture! Nous l’avons vu au cours de la pandémie combien celle-ci est essentielle à nos sociétés!
Cordialement,
Emmanuelle Grondin
Christine Crépin