L’été en novembre : faut-il s’en réjouir?
La réponse est non!Le temps exceptionnellement beau et chaud des derniers jours a tourné court ce midi, avec un « coup de grain » qui a apporté de la pluie, un ciel gris et un refroidissement soudain des températures. Adios l’été en novembre!
L’automne, qui devait s’installer autour du 21 septembre se sera donc installé le 7 novembre, à Rimouski, cette année. Des records de températures auront eu le temps d’être établis dans différentes municipalités de la région depuis une semaine. Les températures ont dépassé 20 degrés. On pouvait camper dans la nuit de samedi à dimanche sans craindre le froid.
Deux extrêmes
Si les gens de 40 ou 50 ans et plus se sont passés le mot pour en profiter en pratiquant des sports nautiques, en effectuant des sorties en vélo et randonnées dans la nature et en fréquentant en grand nombre la promenade de la mer et le parc Beauséjour, notamment, pour les 30 ans et moins, cet été en novembre provoque de l’angoisse, ce qu’on appelle notamment de l’éco anxiété.
Eco anxiété
Une connaissance de l’auteur de ces lignes se demande s’il devrait « faire des enfants » dans cette période de grands changements climatiques, craignant qu’une ou des catastrophes naturelles bouleversent la vie de ses rejetons. C’est un phénomène à prendre au sérieux, si l’on tient compte des avertissements d’un environnementaliste réputé et originaire de Rimouski, Karel Mayrand.
Monsieur Mayrand a grandi à Rimouski et avait 12 ans quand la famille a plié bagage, quittant le district Nazareth pour la région de la métropole. Président directeur général de la Fondation du Grand Montréal qui gère entre 450 et 800 fonds philanthropiques selon les périodes dans tous les domaines, dont l’éducation et l’environnement.
La Fondation, qui n’a aucun lien avec la Ville de Montréal, a accumulé pour 420 M$ d’actifs en 22 ans. Karel Mayrand a été directeur de la Fondation David-Suzuki pour le Québec et les Maritimes pendant 12 ans. Il est aussi auteur, notamment de « Lettres à un jeune écologiste ».
Profiter, mais s’inquiéter
« Je continue de m’intéresser de près aux questions environnementales, même si je ne travaille plus dans un domaine qui lui est directement rattaché. À la question « Doit-on s’en réjouir? », la réponse est non, mais cela n’empêche pas d’en profiter pendant que ça passe, parce que c’est quand même agréable. On ne se le cachera pas. De là à s’en réjouir… il faut se souvenir que nous en sommes à 1,15 degré Celsius de réchauffement planétaire depuis le début de l’ère industrielle, autour de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. Ça semble peu, mais c’est ce qui fait en sorte qu’il fait 21 degrés Celsius à Rimouski en novembre et 24 degrés à Montréal. On s’enligne pour se rendre à un réchauffement de 2,7 degrés et plus d’ici la fin de notre siècle. »
300 fois plus d’impacts
« Il faut que les gens comprennent que 2,7 degrés, ce n’est pas juste deux fois plus que 1,15. C’est peut être 300 fois plus en termes d’impacts. Quand on a un réchauffement global de l’ordre de quelques dixièmes degrés, ça peut signifier des changements très, très importants au niveau mondial. Avec les engagements que les états ont pris sur le plan climatique, on arrivera en 2030 avec seulement la moitié des résultats promis. Et quand on dit 2,7 degrés de réchauffement d’ici la fin du siècle, c’est justement si tous les états du monde atteignent leurs objectifs. Ce qui n’est pas du tout le cas actuellement », annonce monsieur Mayrand.
33 degrés à Rimouski
« On s’enligne sur un réchauffement qui risque d’être de plus de 3 degrés d’ici la fin du siècle. On va dépasser 1 degré de plus avant 2035 et on va dépasser 2 degrés en 2050. Ce sont des chiffres qu’il faut un peu mettre en perspective. En 2050, à Rimouski, c’est peut-être 33 degrés qu’il fera, mais en été, ce sera peut-être 40. C’est un peu pour ça qu’il y a des différences fondamentales entre l’attitude des 50 ans et plus et celle des 30 ans et moins. La personne de 50 ans connaît son horizon de vieillissement. »
Une catastrophe
« Elle peut se dire qu’en 2050, il y a des chances qu’elle soit encore là, mais elle se dit tandis qu’elle y est « aussi bien en profiter ». Mais si on est un jeune de moins de 30 ans, on peut avoir le réflexe de se dire que c’est une catastrophe, ce qu’on a devant soi. Ces personnes se disent qu’il y aura des impacts sur leurs vies, que ça va affecter leur qualité de vie parce qu’on ne parle pas seulement de températures, on parle aussi de phénomènes de plus en plus extrêmes. Il se pourrait que le défi pour s’alimenter soit plus important, que le nombre de produits disponibles dans les épiceries soit limité; qu’on ne puisse plus faire du ski l’hiver au Québec », estime ce spécialiste.
Plonger dans le vide
« En ce moment, on est en train de plonger dans le vide. Les plus âgés se disent qu’on leur a annoncé plus d’une catastrophe. On se dit que ça va passer et qu’on va trouver une solution. On est désensibilisé. Mais en fait, si on est jeune, on pense que la catastrophe, elle est en train de se produire. Rappelons qu’à Vancouver, en fin juin 2021, il y a eu une vague de chaleur qui a été l’événement météorologique le plus extrême de l’histoire de la planète. »
570 morts
Il n’y a pas à dire, les jeunes ont raison d’être inquiets, ajoute monsieur Mayrand.
« Il y a eu un dôme de chaleur sur l’Ouest du pays. Il a fait 47,4 degrés Celsius dans une ville au Nord-Est de Vancouver, Lytton. Un record absolu au Canada. Il y a eu un incendie qui a détruit le village. Pendant ce temps, il y avait 570 morts subites à Vancouver en une semaine, qui ont été attribuées à la chaleur par les coroners. C’est plus de morts en une semaine que le nombre de morts par la COVID à Vancouver en un an », fait-il remarquer.
Des zones non habitables en 2050
« Les gens se disent c’est « l’fun »… Non, non, non! Pensons-y vraiment! Là, ce sont des vagues de chaleur qui tuent des gens au Canada et à l’étranger. Ça provoque des migrations de population. Il y a des régions du monde qui ne seront plus habitables en 2050. Notamment des régions qui sont plus près de l’équateur. Tout ça est en train d’arriver. La catastrophe, même si on est de ceux qui ne veulent pas la voir arriver, elle est bien là. »
Incapable de garantir
« Ceux qui s’inquiètent se disent « ce n’est pas normal et ça me fait peur de voir 24 degrés à Montréal au mois de novembre. » Ça n’a peut-être tué personne aujourd’hui, mais c’est tout un signal d’alarme, un signal comme ceux qui se répètent depuis les huit dernières années. Le réchauffement s’accélère. Plus on est jeune et plus on va « payer ». Je vais être très franc avec vous : je crois qu’il n’y a pas un scientifique dans le monde qui est capable de garantir à la génération de l’an 2000 qu’elle va pouvoir se rendre au terme de sa vie sans subir des catastrophes majeures telles que nous n’en n’avons pas connu depuis des centaines d’années dans l’histoire humaine », croit Karel Mayrand.
« Ils savent »
« On se lance dans l’inconnu et on est en train de laisser nos enfants vivre avec les conséquences de notre confort. Ce qu’on pourrait nous demander, aux plus vieux, c’est de limiter notre consommation, d’éviter l’émission de gaz à effets de serre et de faire attention pour ne pas endetter nos enfants sur le plan climatique. »
« On pense à leur laisser un héritage en valeur, mais on est en train de creuser un trou dont ils ne pourront peut-être pas se sortir. Il ne faut surtout pas leur dire qu’ils sont alarmistes. Parce qu’en réalité, ils sont ultra lucides et ils savent ce qu’il s’en vient. D’ailleurs, les plus alarmistes d’entre nous sont les scientifiques, car ils connaissent la réalité. Les jeunes ne sont pas alarmistes : ils nous rendent plutôt service en sonnant l’alarme », conclut monsieur Mayrand.
Les canicules ont fait 15 000 décès en Europe, cette année seulement.
Météo
L’automne reprendra ses droits dans les prochains jours avec plus de temps gris que de soleil et des températures variant de 1 à 8 degrés. Il se pourrait même qu’il neige dimanche prochain.