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«Nous ne voulons pas voir le Québec devenir un pétro-province»

Déclaration écologiste à l’occasion de la Journée internationale de l’eau
Patricia Posadas, Martin Poirier, Stéphane Poirier et Benoit Saint-Hilaire. (Photos: archives)

À l’occasion de la Journée internationale de l’eau, des militants écologistes de deux mouvements citoyens de la région rimouskoise tracent un bilan de la situation de la région en matière de prospection des hydrocarbures.

« Au Bas-Saint-Laurent, c’est un refus total parce que l’eau n’a pas de prix », disent Patricia Posadas, Noémi Bureau-Civil, Guillaume Bazire et Benoit St-Hilaire, de Prospérité Sans Pétrole, et Martin Poirier et Stéphane Poirier, de NON à une marée noire dans le Saint-Laurent. Voici leur rappel sous forme de lettre ouverte, très bien documentée.

La Loi sur les hydrocarbures versus la protection de l’eau

En 2016, le gouvernement libéral du Québec adoptait sous bâillon et dans une urgence difficile à expliquer, la loi  pour régir l’exploration et l’exploitation pétrolière au Québec[1]. Cette loi mal fichue, adoptée malgré que la population québécoise ait maintes fois signifié son refus d’une telle industrie sur son territoire, était inopérante puisqu’elle ne possédait alors aucun règlement que le ministre Arcand, ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles (MERN) du gouvernement Couillard, devait rédiger.

La première mouture de ces règlements fut tellement catastrophique, entre autres pour la protection de l’eau et des citoyennes et des citoyens, que 330 municipalités[2] décidèrent de faire front commun en adoptant un règlement de protection de l’eau potable plus sévère.

Enfin, le 17 août 2018, les règlements furent adoptés[3] avec une modification arrachée par les municipalités et par la société civile: l’article 23, qui assure un rayon de 1000 mètres de protection autour d’un milieu hydrique. Toutefois, un alinéa donne au ministre en fonction la latitude de déroger à cet article. Par cette adoption, la loi devenait effective[4].

Que s’est-il passé depuis l’adoption de la Loi sur les hydrocarbures ?

Rien, en apparence. Mais dans les faits, les citoyens riverains de zones sous licence ont recommencé à recevoir de la documentation sur les hydrocarbures et leurs soi-disant bienfaits. Certaines compagnies, pour se conformer à la loi, ont pris contact avec les municipalités pour manifester leur intention, un jour ou l’autre, de forer.

Par ailleurs, l’article 28[5] de la loi oblige les compagnies à plusieurs actions afin de garder active leur licence. Entre autres, elles doivent créer des comités de suivi.  Si certaines compagnies ont créé ces comités, il est difficile de savoir lesquelles et lorsqu’on finit par trouver l’information, il est tout aussi difficile de trouver les procès-verbaux des rencontres de ces comités. L’information circule très mal, voire pas.

Ce n’est qu’en février 2020, à l’aube de la pandémie, que la société Gaspé énergie Inc. a déposé la toute première demande de forage exploratoire, depuis l’adoption de la loi, pour un 6e puits dans le projet Galt, à 20 km à l’ouest de Gaspé.

Toutefois, en vertu de ce fameux article 23, l’actuel ministre du MERN, Jonatan Julien, a refusé cette autorisation en octobre 2020.  La compagnie a aussitôt déposé une demande devant le tribunal de Québec pour contester la décision du ministre, demandant au juge, par la même occasion, d’invalider l’article 23. La cause a été entendue les 1, 2 et 3 mars derniers à la Cour du Québec.

La décision que va prendre le juge Boutin sera lourde de conséquences et il y a fort à parier que[6] toutes les compagnies pétrolières qui possèdent des droits d’exploration et d’exploitation (claims) au Québec regardent avec attention ce qui se passe là.

Qu’en est-il du Bas-Saint-Laurent ?

Saviez-vous qu’à l’échelle des huit MRC du Bas-Saint-Laurent, on dénombre huit entreprises qui sont détentrices de permis d’exploration ? (Voir document ci-dessous).  Deux de ces compagnies ont entamé, en 2019, une poursuite contre le gouvernement : Squatex et Pétrolympic. Le dossier est toujours en cours. Mais cela ne devrait pas nous étonner : lorsqu’elles ne profitent pas des subsides du gouvernement, via entre autres Ressources Québec, les pétrolières le poursuivent en justice, lui ou des petites municipalités, comme Ristigouche-Sud-Est. Et lorsqu’elles perdent, elles trouvent le moyen de ne pas payer leurs dettes : c’est ce qu’a fait Gastem qui n’a pas remboursé les frais de justice de Ristigouche-Sud-Est, malgré qu’elle ait été condamnée à le faire.

Comme on le constate en étudiant la carte interactive des hydrocarbures du Québec[7], on peut voir que le Bas-Saint-Laurent est couvert de «claims» de part en part. Cette industrie, si elle se développait, ne pourrait pas apporter de prospérité, comme elle le prétend. Bien au contraire, elle nuirait aux autres vocations du territoire déjà bien identifiées par les communautés.

D’ailleurs, alors que nous sommes pleinement conscients de la nécessité de préserver la biodiversité[8], en augmentant la superficie des aires protégées, il est choquant de constater le lien qui existe entre les projets d’aires protégées rejetés versus les «claims» pétroliers. En effet, le Bas-Saint-Laurent avait retenu sept territoires pour la création d’aires protégées qui «faisaient consensus régionalement»[9] après un très long travail accompli par des bénévoles, des fonctionnaires et des organismes dédiés. Trois aires viennent d’être acceptées, mais quand on regarde les quatre qui ont été rejetées, elles se trouvent toutes sur des territoires sur lesquels l’industrie pétrolière et gazière détient des permis, soit les territoires du Lac-de-L’Est et de Duchénier, ceux des rivières Causapscal et Cascapédia.

Carte des lots (claims) de prospection détenus par des entreprises pétrolières.

Qu’est-ce que le Bas-Saint-Laurent peut faire ?

Quatre municipalités régionales de comté (MRC), à l’initiative de celle de La Mitis, ont adopté une résolution rejetant l’exploration et l’exploitation d’hydrocarbures sur leur territoire. Il s’agit de La Mitis, de la Matapédia, des Basques et de Rimouski-Neigette. Par la même occasion, celles de La Matapédia et de La Mitis ont refusé de participer aux comités de suivi, refusant de cautionner de quelque manière que ce soit une industrie qui serait dévastatrice autant pour l’environnement que pour les autres domaines économiques de la région : agriculture, forêt, chasse et pêche, tourisme…

Il reste donc encore quatre MRC, la Matanie, le Kamouraska, le Témiscouata et la MRC de Rivière-du-Loup, qui pourraient et devraient poser le même geste afin d’envoyer un message clair et sans équivoque. Le Bas-Saint-Laurent, conscient des enjeux climatiques, touché par ces derniers que ce soit par l’absence des glaces sur le fleuve qui accentue l’érosion des berges, les sécheresses et les canicules répétitives, la perte de couvert neigeux qui menace l’acériculture entre autres, conscient aussi de la valeur de l’eau doit faire le choix d’un autre développement sur son territoire.

Quant à la population du Bas-Saint-Laurent, elle doit rester à l’affût des visées des compagnies pétrolières et gazières. Les titulaires de licences d’exploration ont des obligations légales avec la loi sur les hydrocarbures dont celle d’obtenir l’autorisation écrite des propriétaires terriens privés. Autorisation que les propriétaires sont en droit de refuser (voir article 58 de la loi). Pour les autres secteurs du territoire, n’oublions pas entre autres que la compagnie Petrolympic a toujours des licences sur le territoire de la ZEC BSL, que Squatex est toujours présente près la Rivière Mitis qui approvisionne en eau potable plusieurs municipalité dont la ville de Mont-Joli, et que Pieridae, Mines JAG et Marzcorp Oil and Gas ont des licences sur des secteurs qui font consensus auprès de la communauté bas-laurentienne pour la création d’aires protégées. 

En somme, nous persistons à exiger que cette industrie se retire définitivement de notre magnifique région. Par solidarité avec la Gaspésie et aussi avec l’ensemble des groupes citoyens du Québec qui ont démontré depuis plus d’une décennie que nous ne voulons pas voir le Québec devenir une pétro-province.

Patricia Posadas, Noémi Bureau-Civil, Guillaume Bazire et Benoit St-Hilaire, Prospérité Sans Pétrole;

Martin Poirier et Stéphane Poirier, NON à une marée noire dans le Saint-Laurent.


[2] La révolte des maires. Pour exemple, celui de Drummondville: https://www.journalexpress.ca/2017/09/25/hydrocarbures-drummondville-sinsurge-contre-le-ministre-arcand/

[3]https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1118834/loi-hydrocarbures-indignation-environnementalistes-petrole-quebec-adoption-cours-eau

[4] Le texte de la loi: https://www.canlii.org/fr/qc/legis/lois/rlrq-c-h-4.2/derniere/rlrq-c-h-4.2.html

[6]

[7]https://sigpeg.mrn.gouv.qc.ca/gpg/hydrocarbures/hydrocarbures.htm

[8]https://ici.radio-canada.ca/info/videos/media-8239918/faut-il-sauver-caribous-forestiers

[9]https://www.moutonnoir.com/2021/01/aires-protegees-quatre-territoires-oublies-au-bas-saint-laurent

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