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 Au pire la guerre, au « mieux » laisser faire

-Attaque de la Russie contre l’Ukraine
Les événements en Ukraine font craindre le pire. (Photo: Unsplash photos)

Comme si la destinée se chargeait de nous ramener à la réalité, la situation politique en Europe entraîne un lot d’inquiétudes pas mal plus important que les contrariétés de la crise sanitaire.

Combien de fois, pendant la pandémie, certains ont fait valoir à d’autres qu’une guerre est bien pire qu’une crise sanitaire? Eh bien, c’est ce qui risque de se produire.

« Le monde vient de changer. On est en train de vivre une période bouleversante qui va chambouler les relations internationales. On est en train de créer un nouvel ordre mondial. Peu importe ce qui va arriver à compter de maintenant, ce ne sera plus jamais pareil. »

Ce sont là les premiers commentaires du professeur de science politique Jean-François Fortin, aussi un élu municipal bien connu et ancien député fédéral, en entrevue au Journal Le Soir, cet avant-midi au sujet de l’envahissement d’une partie de l’Ukraine par la Russie, au mépris des lois internationales. On ne parle pas ici d’un conflit régional qui sévit à distance dans l’indifférence, mais d’un conflit qui risque d’entraîner d’autres pays vers la guerre.

À 80% semblable à la Seconde Guerre mondiale

Selon monsieur Fortin, les parallèles à faire entre ce conflit et les événements qui ont déclenché la Seconde guerre mondiale sont nombreux et même « semblables à 80% ». Après la Première Guerre mondiale, les pays industrialisés ont décidé de créer la Société des nations (SDN), l’ancêtre de l’Organisation des nations unies (ONU), créée pour sa part après la Deuxième Guerre mondiale. Dans un cas comme dans l’autre, ces deux organisations visaient à défendre les nations attaquées et à décourager les éventuels envahisseurs. La SDN n’a pu empêcher le Japon d’attaquer la Mandchourie, ni l’Allemagne de pénétrer de force en Tchécoslovaquie.

Situation critique

Le professeur Fortin mentionne qu’il est difficile de trouver du positif dans l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Et le passé est garant de l’avenir. Si on ignore l’histoire, on est condamné à la répéter.

« Je ne crois pas être en mesure de rassurer qui que ce soit. Je ne veux pas paraître alarmiste, non plus, ni prophète de malheur, mais la situation est critique au niveau international. Le déclenchement de cette guerre est en train de redéfinir les principes des relations internationales. Depuis la création de l’ONU, dans les années 1940, on a voulu d’une organisation qui allait préserver la paix par des règles internationales qui allaient être respectées par tous les pays. Entre autres, on a convenu qu’il était illégal de faire la guerre; qu’il était illégal d’envahir les territoires voisins, parce qu’on avait vécu dans les années 1930 un régime nazi qui avait profité de la faiblesse de ses voisins dans le but d’acquérir des territoires, de prendre de l’expansion dans des zones stratégiques », commence par expliquer monsieur Fortin.

Même réalité

Tandis qu’Hitler convoitait des territoires où les populations étaient germanophones comme les Sudètes, en Tchécoslovaquie, le corridor de Dantzig, en Pologne ou l’Autriche, le Japon mettait en scène un incident sur une ligne ferroviaire pour envahir la Mandchourie, en Chine.

« L’idée n’est pas de faire un comparatif facile en tournant les coins ronds, avec l’Allemagne nazie de Hitler, toutefois, à l’époque, quand l’Allemagne nazie a pris de l’ampleur territoriale, beaucoup de gens se sont demandé « devons-nous agir » ou « devons-nous laisser faire ». À 80%, l’argumentaire de Poutine est semblable à celui des nazis. Et on a constaté, à la suite de la Seconde Guerre mondiale, qu’on avait failli à nos devoirs; que les règles internationales et l’ancêtre de l’ONU n’avaient pas eu assez de pouvoir pour empêcher cette guerre par la négociation ou par une intervention plus musclée de la communauté internationale. On assiste également à la même réalité. »

Point de rupture

« On est aujourd’hui, aussi, dans un point de rupture avec l’ONU. D’abord, parce que l’Ukraine ne fait pas partie de l’alliance de l’OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord), ce qui fait qu’elle ne peut compter que sur elle-même et sur les règles internationales pour se défendre. Si elle était membre de l’OTAN, la question ne se poserait pas. Les autres pays de l’OTAN entreraient en guerre pour défendre un allié. Présentement, l’Ukraine n’a pas ce genre d’alliance avec un autre pays, mis à part des alliances ponctuelles pour obtenir de l’argent et des armes –notamment du Canada- mais pas d’assistance militaire mutuelle en cas d’agression », précise aussi le professeur Fortin.

Fâcher la Russie

Vladimir Poutine mise sur l’inaction des membres de l’OTAN et de l’ONU pour prendre de l’expansion, poursuit monsieur Fortin :

« L’Ukraine a déjà entamé des pourparlers pour devenir membre de l’OTAN (dont le Canada fait partie), mais l’OTAN n’a pas encore accédé à ses demandes, parce que c’est un procédé complexe. C’est aussi parce qu’il y a des états au sein même de l’OTAN qui soutiennent que ça pourrait fâcher la Russie. Je pense à la France et à l’Allemagne, entre autres. La Russie, dans tous les cas, est mécontente et profite de la faiblesse de la communauté internationale pour faire une intervention musclée en Ukraine. Et quand je dis la faiblesse de la communauté internationale, c’est que les puissances occidentales condamnent, mais ne veulent pas vraiment s’engager à lever le ton ou faire en sorte que la Russie soit menacée d’une quelconque manière. »

Et aucun pays ne semble en position d’intervenir : « Aux États-Unis, le retrait chaotique des forces américaines d’Afghanistan ont terni l’image du président Joe Biden. Il doit vivre avec l’héritage de Donald Trump, mais les Américains, présentement, n’ont pas d’appétit pour un engagement militaire. En France, on est en campagne électorale présidentielle. Macron préférerait se consacrer à la politique nationale plutôt qu’aux affaires internationales; en Allemagne, il y a un nouveau dirigeant qui a remplacé Angela Merkel. Il est tout nouveau et ne semble pas avoir l’envergure de cette femme forte. »

Jean-François Fortin (Photo: Facebook-Jean-François Fortin/Geneviève Gagné)

L’ONU impuissante

À l’Organisation des nations unies, il y a un obstacle de taille. Ce sont les pays réputés les vainqueurs -disons les plus importants- de la Seconde guerre mondiale qui contrôlent le conseil de sécurité, instrument ultime. Bien oui! La Russie en fait partie avec notamment la Chine, la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis, qui composent le conseil permanent et ont droit de véto.

« L’Europe est affaiblie et c’est le meilleur moment pour Vladimir Poutine de poser les actions comme de déclencher une guerre contre l’Ukraine. Si aucun allié formel ne vient en aide à l’Ukraine, qui donc lui viendra en aide? Il ne reste que les lois internationales qui sont encadrées par l‘ONU et le conseil de sécurité. Il y a un blocage : la Russie en est un membre permanent. Les institutions internationales sont paralysées », rappelle Jean-François Fortin.

La Chine pourrait s’en mêler

 « Puisqu’il y a blocage, on est en train de redéfinir les normes internationales qui vont avoir de graves conséquences sur la stabilité mondiale dans les prochaines années. Je ne crois pas qu’il puisse y avoir un règlement sans qu’il y ait une intervention militaire. Toutefois, ce n’est pas souhaitable. Dans tous les cas, une intervention militaire pourrait engendrer un conflit global. Les États-Unis et l’Europe ont un rapport de force important, mais il ne faut pas oublier que depuis 2018, la Russie et la Chine ont conclu des traités d’alliance militaire. Il y a même eu des opérations militaires conjointes. Vostok 18 a été le plus important déploiement militaire depuis la Deuxième Guerre mondiale. Une guerre pourrait émerger qui impliquerait d’autres pays », met en garde le professeur de science politique.

Toujours avant cette fameuse Seconde guerre, souvenons-nous également des accords de Munich et de la volonté affichée de l’Angleterre et de la France de ne pas entrer en guerre, jusqu’au jour où l’Allemagne envahit carrément la Pologne.

L’OTAN pourrait quand même réagir, car ses statuts prévoient que si un de ses pays se sent menacé, il peut convoquer une assemblée spéciale, ce que la Pologne vient de faire. « Si on entre en guerre, c’est dramatique, mais si on n’envoie pas un signal clair à la Russie, qu’est-ce qui va empêcher la Russie de se tourner ensuite vers les États baltes? Le mieux pour maintenant serait peut-être que la communauté internationale n’intervienne pas, mais que la Russie s’en tienne aux territoires déjà conquis ou revendiqués. »

Aux États-Unis

Comment réagit la population aux États-Unis? On semble se préoccuper beaucoup des effets de ce conflit sur l’économie.

« J’haïs ça. Ça affecte le monde entier. L’inflation va encore monter. L’essence notamment. La bourse est très affectée. Il y aura des cyberattaques. Je me dis que le monde n’a pas besoin de ça maintenant, avec la COVID. J’ai hâte de voir l’adresse à la nation du président Biden », note une correspondante de l’auteur de ces lignes.

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