Armes à feu : le diable est dans les détails
La députée bloquiste Kristina Michaud s'exprime sur le projet de loi C-21Il n’est jamais facile d’écrire sur un sujet aussi sensible que celui des armes à feu. Il s’agit d’une question qui divise la population et qui soulève les passions.
Le mot « passion » n’est pas utilisé à moitié ici, puisque pour bien des gens, collectionner des armes à feu, chasser ou fréquenter les champs de tir sont des activités qui ne constituent rien de moins que de véritables passions.
Il faut d’ailleurs reconnaitre que la vaste majorité des propriétaires d’armes à feu sont des gens responsables et honnêtes, pour qui la sécurité est un enjeu crucial. Notons également que le processus d’acquisition d’une arme à feu au Canada n’est pas simple, comme cela peut l’être aux États-Unis.
Au Québec, cela demande de nombreux prérequis et j’ose espérer que toute personne qui a fait l’acquisition d’un permis d’arme à feu au Québec était de bonne foi. Mais l’histoire nous a prouvé le contraire.
Les exceptions à la règle ont fait de trop nombreuses victimes lors des dernières années. Nous n’avons qu’à penser aux tueries à l’École Polytechnique et à la grande mosquée de Québec qui ont été perpétrées par des propriétaires d’armes tout à fait légales.
Des mesures souhaitées depuis des années
Cela m’amène à réfléchir au projet de loi C-21 sur le contrôle des armes à feu, présenté le 31 mai dernier par le fédéral.
Dans le cadre de ce projet de loi, un gel sur la vente, l’achat et le transfert des armes de poing au Canada est entré en vigueur vendredi dernier alors qu’un gel sur l’importation des armes de poing était entré en vigueur en août [1].
Il s’agit de mesures importantes, souhaitées depuis des années par celles et ceux qui militent pour un meilleur contrôle des armes à feu. J’ai salué cette initiative au nom du Bloc Québécois, sans toutefois tenir pour acquis que cela viendrait régler le fléau des fusillades que l’on connait, notamment à Montréal.
Je me suis engagée à faire tout ce qui est possible pour améliorer le projet de loi C-21 que nous étudions présentement au Comité permanent de la sécurité publique et nationale. L’améliorer, ça veut parfois dire de renforcer certains éléments qui nous apparaissent plutôt faibles.
D’autres fois, cela peut vouloir dire de proposer des assouplissements là où le gouvernement est peut-être allé trop loin.
Trouver un compromis
C’est le cas des armes à air comprimé réalistes, mieux connu sous le nom de « airsoft » qui se voient devenir des dispositifs prohibés si elles ressemblent à des armes à feu réelles.
Sur cette question, le Bloc Québécois, tout comme la Fédération sportive d’airsoft du Québec, est prêt à trouver un compromis. Sommes-nous en mesure d’encadrer davantage la pratique de ce sport sans la rendre complètement illégale? Je crois que oui.
Soyons cohérents, nous voulons lutter contre la violence par armes à feu et ce n’est pas en empêchant des milliers de Québécois de pratiquer leur sport avec un dispositif qui ne peut vraisemblablement pas être utilisé pour tuer une personne que nous y arriverons. Concentrons-nous sur le vrai problème.
Il faut dire que le gouvernement libéral est plutôt réactif et il réagit à certains évènements en déposant des pièces législatives ou règlementaires pour avoir l’air de s’occuper du problème alors que ce n’est pas nécessairement le cas.
À titre d’exemple, il a déposé C-21 au lendemain d’une fusillade dans une école primaire du Texas qui a arraché la vie de 19 enfants et deux enseignantes. Deux semaines après la fusillade la plus meurtrière au Canada, celle de Portapique en avril 2020 qui a fait 22 morts, le gouvernement a annoncé l’interdiction de 1500 types d’armes à feu. Les deux fusils utilisés pour les meurtres, le Ruger Mini et la carabine Colt M4 se retrouvaient sans surprise sur cette liste.
Les moments choisis pour légiférer sur les armes à feu sont donc loin d’être anecdotiques. Là où le bât blesse, c’est que les mesures proposées ratent souvent la cible.
Interdire une fois pour toutes
C’est le cas du projet de loi C-21 qui malheureusement ne permet aucunement de s’attaquer au trafic des armes illégales.
C’est également le cas du décret de mai 2020 qui permet aux détaillants d’armes de contourner l’interdiction en introduisant de nouvelles armes sur le marché qui ne se retrouvent pas sur la liste des 1500 armes prohibées. C-21 aurait dû être l’occasion d’interdire une fois pour toutes les armes d’assaut de type militaire qui n’ont pas leur place entre les mains de civils.
Avec les coups de feu tirés chaque semaine dans la métropole, C-21 aurait également dû être l’occasion de donner davantage de moyens aux corps policiers et aux agents des services frontaliers pour resserrer le contrôle aux frontières, tout en modernisant les lois et règlements qui encadrent les armes à feu.
Cela fait plusieurs occasions manquées. Certes, le projet de loi propose quelques bons éléments comme celui de protéger davantage les victimes de violence conjugale. Il augmente également les peines maximales pour l’importation d’armes illégales et ajoute comme infraction criminelle l’action de modifier un chargeur.
Ma formation politique l’a souligné d’emblée : ce projet de loi est un pas vers l’avant. Il serait cependant faux de croire qu’il vient régler tous les problèmes liés aux armes à feu. Comme on le dit souvent, le diable est dans les détails et ici, les détails sont nombreux.
Pas d’impact réel
Même une fois amendé pour le mieux, C-21 n’aura probablement pas d’impact réel pour lutter contre le trafic d’armes illégales, alors que le nombre de fusillades augmente exponentiellement dans nos rues.
Sachant que la majorité des armes illégales qui se retrouvent dans les mains du crime organisé arrivent sur notre territoire en provenance des États-Unis et sachant que les frontières relèvent du fédéral, il faut y mettre davantage de ressources et permettre une réelle collaboration entre les différents corps policiers et l’Agence des services frontaliers du Canada.
Avec des failles aussi nombreuses dans un projet de loi aussi important, nous sommes en droit de nous poser une sérieuse question : est-ce qu’on rate la cible? Après tout, ce que l’on désire, c’est assurer la sécurité de la population et sauver des vies.
Bien que les négociations à venir seront loin d’être simples, je souhaite sincèrement que nous trouvions le juste équilibre pour veiller à la sécurité de tous et toutes, pour que les armes à feu ne soient pas à la source davantage de tragédies humaines.
Puisque le Bloc Québécois a toujours été en faveur d’un meilleur contrôle des armes à feu, je travaillerai constructivement avec le gouvernement dans les prochains mois afin d’améliorer et de bonifier ce projet de loi en étant à l’écoute de toutes les communautés touchées de près ou de loin par cet enjeu. Parce que dans tous les projets de loi, ce sont les petits caractères qui sont importants.
Et le diable est dans les détails!
[1] Une clause grand-père est prévue pour les détenteurs actuels de permis de possession.