Un éveilleur de conscience
Lettre ouverte de Normand MartinPar Normand Martin
Le moins qu’on puisse dire, c’est que Denis Dion, l’auteur de « La Voix d’un géant », a le sens de la construction du récit narratif propre à la biographie. À l’exercice, peut-être a-t-il trouvé là une nouvelle vocation lui permettant d’assouvir son talent de rédacteur professionnel.
Dion a cerné avec justesse à la fois l’homme et le personnage. En une douzaine de tableaux, il nous fait découvrir les origines familiales de Sandy Burgess, son enfance dans le « faubourg Price », le séminariste, mais surtout le mentor, l’influenceur et le chroniqueur remarquable qu’il a été toute sa vie durant.
L’auteur en a tiré un portrait d’autant plus saisissant de vérité qu’il est écrit au temps présent, faisant ainsi du lecteur le témoin rapproché, voire intime, d’une histoire qui se lit et se vit à l’instant même. Dion a visé juste en optant pour ce style littéraire.
Un véritable champion
On retient de l’ouvrage que Sandy Burgess a été un véritable champion de notre région, un éveilleur de conscience à nul autre pareil. Décrit par son biographe comme un « artiste des mots et de l’expression des idées », Burgess s’est servi de son talent d’éditorialiste et de pamphlétaire de haut vol, parfois joué avec théâtralité, pour prendre fait et cause de sa région.
N’a-t-il pas maintes fois décrié les politiques et les décisions gouvernementales qui négligeaient ou ignoraient même les besoins de notre région-ressources ?
Et n’a-t-il pas revendiqué pour ses concitoyens, notamment ceux du haut-pays, le droit de « vivre décemment et de pouvoir espérer en leur propre avenir dans leur milieu social » ? Plus qu’un simple témoin de l’événement, il a été un acteur engagé et militant, au seul profit des intérêts de notre région et de son développement.
Dès l’avant-propos, Denis Dion établit les limites et les contraintes de son opuscule : « Sandy Burgess, qui a tant écrit comme éditorialiste et journaliste, n’a finalement laissé derrière lui que peu de documents signés de sa main. »
À sa décharge, nous lui savons gré d’avoir analysé quelque mille des 1 800 chroniques du billettiste parues dans les hebdomadaires Le Progrès du Golfe et Progrès-Écho. Ce faisant, il a pour ainsi dire sauvé la mise.
Laxisme des stations
Loin de nous l’idée de lancer un pavé dans la mare, mais comment justifier que des stations telles que CJBR et CJBR-TV, de l’ère Brillant et du groupe Télémédia, ainsi que CFLP 1000, n’aient pratiquement rien conservé des précieux témoignages d’un éditorialiste aussi chevronné ?
Car ne nous méprenons pas : ce sont les éditoriaux radio et télé – davantage que les chroniques dans les hebdos – qui ont le mieux illustré la notoriété et la force du commentateur d’actualité. Denis Dion l’admet d’emblée, notant que les chroniques de Burgess « ont été la principale matière me permettant de connaître l’homme à travers ses écrits. »
Il y a du reste un fonds d’archives inexistant dont le contenu nous aurait éclairés sur son regard critique des grands dossiers et des enjeux de développement ayant accompagné notre collectivité régionale pendant deux bonnes décennies.
Cette manne aurait pu alimenter et fortifier la biographie d’au moins 50 pages, sinon plus. Bref, rien n’excuse le laxisme des stations dénoncé plus haut, qui relève à notre avis de l’incurie pure et simple !
« Vide éditorial »
Dion a néanmoins meublé ce « vide éditorial » par des dizaines et des dizaines de témoignages qu’il a recueillis à chaud ou par écrit de confrères, journalistes, personnalités publiques et amis ayant côtoyé ce géant de l’information.
En complément, l’auteur a eu la judicieuse astuce de présenter ça et là des encadrés éclairant des mises en contexte historiques ou révélant certains traits de personnalité du communicateur de renom. Quelques-uns de ces encarts affleurent d’un humour fin que le protagoniste lui-même n’aurait sans doute pas renié.
Désireux de brosser un portrait donnant la bonne mesure, qui ne soit ni complaisant ni dithyrambique, l’auteur a su relever, dans quelques-unes de ses chroniques, certains écarts d’opinion commis sous le coup de l’emportement, quand ce n’est pas de l’égarement tout court.
L’arroseur arrosé, en quelque sorte. Comme quoi, même chez les plus grands, errare humanum est ! De telles anecdotes, certaines plus croustillantes que d’autres, n’ont pas manqué d’arracher un sourire en coin au lecteur avisé.
À hauteur d’homme
Le tout dernier chapitre nous a particulièrement touchés, puisqu’il fait ressortir, en de courts témoignages anonymes, la nature profonde de l’homme qu’a été Sandy Burgess.
« Il est de son pays [ le Bas-Saint-Laurent ] et ce pays est en lui ». La formule image à merveille l’enraciné et l’indéracinable. Elle synthétise avec brillance cet homme empreint d’humanisme et de grandeur d’âme à l’égard de ses semblables – humble parmi les humbles et d’une générosité aussi discrète que proverbiale –, pétri d’une vaste culture, à l’esprit universaliste, vouant au surplus un respect et un amour quasi mystiques à la Nature, perçue à la fois comme sanctuaire et refuge de paix.
Bernard Derome a eu ces mots fort justes en signant la préface de ce livre : « Un homme sans prétention, d’une humilité extrême et fidèle à ses racines […], qui a trouvé un sens à la vie dans ses convictions et ses valeurs [… ], qui avait foi en l’être humain. »
D’une certaine lacune
L’ouvrage inclut quelques blocs de photos. N’empêche, pour le rôle de mentor et l’ascendant que Sandy Burgess a exercés sur nombre de jeunes journalistes de ce temps, n’y manque-t-il pas un ou deux clichés avec certains d’entre eux qu’il a contribués à former ou à lancer dans le métier ?
Prenons à témoin cette photo, repérée sur un média social, le montrant entouré de son équipe de la salle des nouvelles de Radio-Canada Rimouski, début des années 80. Il est à souhaiter que, dans la perspective d’une réédition, une telle lacune soit comblée.
Somme toute, il nous incombe de saluer l’offrande de Denis Dion, qui a accepté de se commettre en relevant avec brio le mandat de la Fondation Sandy-Burgess. Il a effectué un travail de recherche des plus honnêtes, et son récit emprunte à un style abouti, soigné et nuancé qu’impose toute biographie de qualité. En cela, Dion nous a révélé l’étendue surprenante de son talent de raconteur et d’écrivain qui ne demande qu’à s’affiner.
Soulignons également le rôle primordial du collègue Harold Michaud dans ce success story dont une centaine d’exemplaires ont trouvé preneurs dans le seul cadre du Salon du livre de Rimouski. Il a fait de cette fondation éponyme une œuvre vouée à l’attribution de bourses d’études à des jeunes de la relève. Michaud a toute notre considération car grâce à lui et au travail de son c.a. le nom de cet illustre éditorialiste et libre penseur ne tombera pas dans le purgatoire de l’oubli.
Enfin, notons le précieux apport du comité conseil et de lecture dont les avis et suggestions à l’intention de l’auteur ont sans doute contribué à peaufiner le manuscrit.
Une rue a été ouverte et nommée en son nom, en 2008, jouxtant une partie des prés du Rosaire encore inoccupée. De plus, une biographie d’excellente mouture vient de lui être consacrée. Cette double reconnaissance suffit-elle ? Que nenni ! pour certains.
Des échos recueillis dans notre milieu inclinent à penser que l’ultime hommage aurait consisté – pour peu que cela eût pu être discuté et négocié avec la haute Direction de la Société d’État – à nommer la succursale de Radio-Canada à Rimouski : Maison Radio-Canada – Sandy-Burgess. Poser la question n’incite pas et n’invite pas nécessairement au débat, tant le sablier du temps peut l’avoir rendue caduque.
Burgess revisité
Quel regard critique porterait un Sandy Burgess sur notre époque actuelle ? Quelle opinion aurait-il de la culture d’annulation, de la diversité-inclusion exacerbée – avec les dérives pernicieuses de l’écriture inclusive – et de la mouvance wokiste qui s’incrustent jusque dans les hautes sphères de notre société ?
Peut-être s’exclamerait-il dans une formule humoristique teintée d’ironie : « Gare à vous si, dans le monde lessivé d’aujourd’hui, vous n’êtes pas plus blanc que Blanc.
Il y a trop de ces nouveaux et faux curés parmi nous qui entachent l’Espace public de leurs prêchi-prêcha ex cathédra. Rappelons-nous cet avertissement prémonitoire de l’écrivain Gilbert Cesbron : nous vivons maintenant et plus que jamais … le temps des imposteurs ! Au reste, les amis, on va se le dire franchement, le diable est aux vaches ! »