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Une dangereuse habitude

Le conflit s’enlise, en Ukraine
Une manifestation contre Poutine dans l’une des grandes capitales du monde. (Photo: Unsplash photos)

Le monde en est au douzième mois de la guerre en Ukraine et l’espoir de voir un règlement survenir est mince.

Selon le professeur de science politique du Cégep de Rimouski, Jean-François Fortin, les possibilités de voir une entente pour la paix survenir à court terme sont nulles. Pour que la guerre cesse rapidement, il faudrait pratiquement que cela vienne de l’intérieur de la Russie. Personne ne veut céder du terrain. Le conflit s’enlise.

Ça traîne

« Il y a de quoi être découragé. Il y a un adage qui dit que tout ce qui traîne finit par se salir. Effectivement, cette guerre-là est en train de s’implanter et de créer des racines beaucoup plus profondes que ce que l’on aurait pu croire. Elle pourrait engendrer des problématiques importantes sur le plan de la sécurité régionale, de l’Europe, et au niveau international. Elle est en train d’établir une forme de nouvel ordre international. On est en train de redéfinir le droit international; on est en train de redéfinir le (non)respect des traités », croit Jean-François Fortin qui avait commenté le début du conflit l’an dernier.

« C’est dangereux quand on finit par s’habituer. On pense que c’est devenu la réalité et qu’il n’y aura pas trop d’impact pour nous, les Nord-Américains. »

On s’habitue

« L’Europe est menacée sur le plan de la sécurité, mais aussi sur les plans économique et énergétique. Ce conflit risque de laisser beaucoup plus de traces que ce qu’on avait anticipé. Je crois que nous n’avons pas toutes les informations à ce jour qui nous permettraient de prendre conscience de tout l’impact de ce conflit. On a encore trop le nez collé dessus. On dirait qu’on s’est habitué à ce conflit. C’est dangereux quand on finit par s’habituer. On pense que c’est devenu la réalité et qu’il n’y aura pas trop d’impact pour nous, les Nord-Américains. »

« Je crois qu’au contraire, on est en train d’établir des changements de paradigme qui vont affecter l’économie et la sécurité internationale. Il y a des règles internationales, mais elles sont bafouées. Et à partir du moment où elles sont bafouées, on devient incapable de les faire respecter. Ne serait-ce que la souveraineté territoriale d’un état! Ne serait-ce que les droits de la guerre! Il est interdit de faire la guerre, à moins d’être attaqué. On a droit à la légitime défense », rappelle l’enseignant et ex-député fédéral.

Jean-François Fortin (Photo courtoisie Geneviève Gagné)

Monde chaotique

 « On a ici un état qui, de manière illégale, en a envahi un autre. La Russie n’a pas seulement envahi les régions contestées ou qui manifestaient une volonté d’autonomie, elle s’est rendue aux portes de Kiev. Ce sont des comportements non seulement inappropriés en droit international, mais considérés comme carrément illégaux. L’incapacité des acteurs internationaux –l’OTAN autant que l’ONU- à faire respecter les règles établies depuis 1945 risque de nous entrainer dans un monde chaotique. »

Faux sentiment de sécurité

« La Russie mène une guerre non conventionnelle et elle croyait mener une guerre éclair, mais là, elle a frappé un mur. Bien qu’elle soit parmi les trois puissances les plus importantes au niveau international, avec les États-Unis et la Chine, elle n’a pas accès à ce qui en fait une puissance de cet ordre. Elle ne peut pas utiliser son arsenal à la mesure de ce qui en fait une telle puissance. »

« Cette force de frappe est théorique, en cas de guerre totale et généralisée, ce qui n’est pas le cas. On a l’impression que la Russie n’est pas très forte en regardant ce qui se déroule en Ukraine, mais c’est un faux sentiment de sécurité parce que la Russie est encore très puissante. Dans un conflit généralisé, elle serait beaucoup plus menaçante qu’elle ne l’est pour l’Ukraine. Nous assistons à une guerre régionale; mesurée. La communauté internationale veut éviter une guerre, mais elle risque de jeter les prémisses à un conflit plus important », soutient monsieur Fortin.

La pression sur Poutine

Même si les chances sont minces, la fin du conflit pourrait survenir en raison d’événements qui se dérouleraient en Russie.

« Un gros enjeu pour le président Poutine est de gérer l’insatisfaction à l’interne. Il a encore le contrôle, mais il y a des conséquences. Il y en a pour nous, il y en a pour les Européens, il y en a pour les Ukrainiens, mais il y en a aussi pour la Russie, qu’il ne faut pas sous-estimer. Il y a de la pression sur Poutine des deux côtés, soit pour l’inciter à lever le pied, soit pour l’inciter à accélérer le conflit. À l’interne, on sait malgré la désinformation que le peuple russe vit les conséquences de ce conflit. La fin de la guerre en Russie pourrait se produire par un éclat de violence de la population, pas par des politiciens. »

N’a pas dit son dernier mot

« Poutine a encore le contrôle sur son entourage. Il agit un peu comme J. Edgar Hoover. Il a la mainmise sur toutes les informations stratégiques et sur tous les scandales potentiels. Il a acquis toute cette connaissance dans son cheminement politique. Ça passerait par un renversement du pouvoir plutôt que par une solution politique interne négociée avec Poutine, qui n’est pas quelqu’un qui veut céder le pouvoir. Avant de se rendre là, c’est ce qu’il y a de plus inquiétant. L’ours est le symbole animal de la Russie. Acculez un ours au pied du mur et vous verrez qu’il va sortir les griffes. Poutine n’a pas dit son dernier mot ni chez lui ni sur la scène internationale », conclut-il.

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