Divertissement > Culture > Les auteurs « à la merci du vedettariat »
Culture

Les auteurs « à la merci du vedettariat »

La file qui attendait pour voir Ginette Reno se rendait jusque devant la librairie L’Alphabet où Isabelle Berrubey tenait au même moment une séance de dédicace (Photo: Journallesoir.ca, Véronique Bossé et photo Facebook – Isabelle Berrubey)

L’auteure Isabelle Berrubey revient sur l’achalandage causé hier après-midi, sur la rue Saint-Germain Ouest à Rimouski, par la présence de la chanteuse Ginette Reno qui signait des autographes au Jean Coutu, laissant l’auteure originaire de la région du Bas-Saint-Laurent laissé pour compte pour sa propre séance de dédicaces lors de la journée du livre et des droits d’auteurs. 

Il y a donc plusieurs éléments qui ont choqué madame Berrubey.

« D’abord, je ne savais pas ce que c’était. Je croyais que c’était une grève ou encore une ligne de piquetage. Un coup que j’ai été installé à l’intérieur, je trouvais qu’il n’y avait pas beaucoup de gens qui venaient. À un moment donné, des gens sont arrivés et m’ont dit ce qui se passait à la pharmacie Jean Coutu. »

Les librairies écartées

« Aussi, j’ai cru comprendre qu’aucune librairie n’avait été approchée par madame Reno ou ses représentants pour pouvoir vendre son livre. C’est particulier. »

En effet, le gérant de madame Reno, Nicolas Lemieux, a décidé que l’album et l’autobiographie de la chanteuse seraient disponibles uniquement en ligne ou dans les pharmacies Jean Coutu. Pour les librairies qui souhaiteraient en faire la vente, l’homme d’affaires « leur offre 15 % de remise – au lieu des 40 % habituels – ; il leur impose des ventes fermes sans possibilité de retours (pour les invendus, ce qui est inédit) ; ou encore, il leur fait payer les frais de transport (normalement assurés par l’éditeur) », indique un article de La Presse publié en mars.

Toujours dans La Presse, monsieur Lemieux indique fonctionner de cette façon pour permettre aux artistes de se faire le plus d’argent possible, une façon de faire qui a été fortement critiqué dans le milieu.

L’impact sur les auteurs d’ici

Madame Berrubey n’en veut pas aux admirateurs de Ginette Reno, ni à la chanteuse. Ce qu’elle déplore, c’est le fait que le milieu littéraire est particulièrement ardu pour les auteurs en région, d’autant plus lorsqu’ils se font pousser.

« J’ai fait ma séance de dédicaces avec beaucoup moins de monde c’est certain, mais au fur et à mesure, en parlant avec des gens, je me suis demandée : on est quoi nous, les auteurs régionaux, pour que des gens de l’extérieur comme ça débarque ? C’est un peu la thématique de mon livre « Pourquoi je déteste Montréal. » Ça se reproduit souvent des choses comme ça, mais particulièrement cette journée-là, c’est ce qui m’a fâché. Ça aurait pu être n’importe quelle journée, pourquoi celle-là ? C’était la journée du livre et du droit d’auteur et je me retrouvais avec une concurrence tout juste à côté, une concurrence que je ne pouvais pas battre, parce que c’est une grande vedette. »

Pas une rare occurrence

« Ce sont des choses qui arrivent régulièrement. On a de grandes vedettes qui viennent. Oui, elles ont des choses à dire et elles ont le droit de le faire, mais pendant ce temps-là, les auteurs régionaux se font pousser. De plus, c’est une chanteuse : ce n’est pas une écrivaine. Elle a co-écrit sa biographie avec une personne qui l’a écrit pour elle. »

« Elle est très populaire, je n’ai rien contre elle, mais j’écris des livres. D’autres gens écrivent des livres, on y met du temps, de l’énergie, on fait de la recherche, on se déplace pour aller faire des séances de dédicaces. On ne se fait pas payer pour le faire ni pour faire les Salons du livre, c’est nous qui payons pour y être et on se retrouve toujours à être tassé. »

Perdre sa place chez soi

« J’étais choquée, j’étais outrée, parce que je me sens volé dans ma propre région comme auteure et je pense que c’est le sentiment de tous les auteurs qui sont régionaux. Nous n’avons pas beaucoup de visibilité par rapport aux grands centres et nous sommes à la merci du vedettariat. »

L’auteure avait d’ailleurs réservé la librairie pour sa séance de dédicaces au début du mois de mars.

« Les gens de la librairie ignoraient que madame Reno serait à côté. Parce qu’eux aussi étaient ouverts et ils s’attendaient à avoir de la clientèle. Et peu importe la journée où elle serait allée, elle aurait causé le même effet. Les gens sont allés chercher sa signature, ils sont allés acheter son livre et c’est correct, ils ont le droit. Ce n’est pas ça qui me fâche, c’est le fait que ça se soit déroulé cette journée, tout juste à côté d’une librairie. C’est cet aspect qui m’a outré. »

Un retour d’ascenseur inexistant

Enfin, Isabelle Berrubey explique que c’est un phénomène qu’elle remarque de plus en plus et qui ne devient pas moins choquant avec le temps.

« Je n’ai rien contre le fait que des auteurs de l’extérieur puissent venir en région, mais il n’y a pas de retour de l’ascenseur. On est en région, on n’a pas les moyens d’aller se faire connaitre, à moins de provoquer une polémique ou de se fâcher et je pense que de plus en plus c’est ce qui se produit. Je vis un vent de révolte depuis la pandémie, parce que c’est là que je m’en suis rendu compte. »

« Avant, je travaillais, j’étais occupé, j’écrivais, mais depuis la pandémie, j’ai pris ma retraite et c’est là que j’ai réalisé qu’on est envahi et qu’on perd des plumes à chaque fois. On ne s’en rend pas compte et finalement, où va notre culture ? Où vont nos infrastructures ? Et du côté de la culture, c’est flagrant. Rimouski, le Bas-Saint-Laurent, c’est le berceau de la littérature québécoise pour beaucoup de gens de la culture et là, c’est comme si ce n’était pas important. »

Facebook Twitter Reddit