Berges à Saint-Flavie : résister aux pires des scénarios
Une facture de 26 M $ et principalement assumée par QuébecLe plus gros chantier de protection contre l’érosion des berges au Québec vient tout juste de se terminer et il en fait sourciller plusieurs. Des montagnes de roches remplacent désormais la plage de Sainte-Flavie.
Par Jean-Louis Bordeleau, Initiative de journalisme local- Le Devoir
Les monticules sont si gros qu’ils coupent la vue sur le fleuve. Les autorités municipales poussent un soupir de soulagement en se confortant du fait qu’elles en ont pour 30 ans à ne plus craindre les assauts des grandes marées.
Mais la destruction du paysage inquiète par contre ailleurs dans la région.
Quelque 345 000 tonnes de roche ont ainsi remplacé 1,6 km de rivages naturels. Les traces des camions et de leurs 22 000 chargements sont encore visibles.
Par endroits, le décor donne l’impression qu’on est dans une carrière. Cette barrière artificielle doit protéger le village d’environ 900 d’habitants, mais bloque la vue sur le fleuve.
La tempête de 2010 a laissé des traumatismes dans la population. L’appui à cet ouvrage était presque unanime parmi les citoyens concernés, explique le maire, Jean-François Fortin, malgré les désavantages évidents.
« Souvent, on devient victimes des changements climatiques. On voulait agir ».
La facture se chiffre à 26 M $ et a principalement été assumée par Québec. Le projet était initialement estimé à 7 M $ au début des travaux de conception, en 2017.
Le maire calcule que des domiciles d’une valeur totale de 50 millions dollars sont aujourd’hui protégés pour une durée de 30 ans, un échange qui vaut la peine.
« C’est quand même un peu triste de perdre nos plages qu’on affectionnait. On va faire preuve de résilience. » Des chaises, des sculptures et des plantes seront installées l’an prochain pour enjoliver le tout.
« On ne fera pas ça chez nous »
La municipalité voisine de Sainte-Luce ne voit pas cette recharge du même œil optimiste. La mairesse, Micheline Barriault, dit respecter la décision de Sainte-Flavie, mais espère une autre solution pour les problèmes similaires de son village.
« On ne fera pas ça chez nous », assure-t-elle. « Le conseil municipal est unanime. »
Des esquisses lui ont été fournies par le ministère de la Sécurité publique. La recharge suggérée à Sainte-Luce dépasserait de trois pieds la promenade qui longe le fleuve et s’élancerait à 100 pieds vers le large, selon elle.
« Le quai n’aurait même pas été dans l’eau. »
Perturber ainsi le paysage minerait le cadre enchanteur propre à la région, estime la mairesse, d’autant plus que de 30 à 40 % de l’économie est liée chez eux au tourisme.
« C’est le moteur économique de notre municipalité. On ne veut pas perdre ça. »
Perdre une plage, c’est aussi diminuer la valeur des maisons en bord de mer. Se rendre au deuxième étage de sa demeure pour pouvoir admirer le paysage nuit certainement au charme de l’endroit.
Micheline Barriault avance l’idée que les millions de dollars prévus par le gouvernement pourraient plutôt servir au déménagement des maisons riveraines, ou encore à l’installation de pilotis en dessous de celles-ci, une pratique courante pour les villes côtières en France.
« On est prêts à regarder des solutions, mais des solutions adaptées à notre réalité. »
Contre des extrêmes toujours plus extrêmes
Cette recharge est la plus grosse du type au Québec et « une des premières de ce genre-là », confirme Pascal Bernatchez, titulaire de la Chaire de recherche en géoscience côtière de l’Université du Québec à Rimouski (UQAR).
L’amoncellement de pierres est particulièrement massif, explique le spécialiste, puisqu’il doit pouvoir résister aux pires des scénarios de changements climatiques.
« Dans le futur, avec l’augmentation du niveau de la mer, la réduction du niveau de glace, on s’attend à ce que les tempêtes vont être plus intenses. Même pour une bonne tempête, l’ouvrage va résister », assure-t-il.
Son équipe suivra tout de même l’évolution de cette plage artificielle dans les prochaines années « pour en tirer des enseignements ».
Québec n’a pas effectué d’évaluation environnementale pour la recharge de Sainte-Flavie. Le ministère de l’Environnement justifiait son empressement par « l’urgence de réaliser les travaux afin de prévenir des dommages potentiels ».
Des études antérieures permettent d’en estimer les effets sur l’environnement, pointe Lyne Morissette, biologiste marine et citoyenne de Sainte-Luce. Elle a réalisé toutes les études concernant une petite recharge de plage réalisée à Sainte-Luce il y a quelques années.
On avait jadis tenté de recharger la plage avec une sorte de terre.
« Ces sédiments-là étaient moins lourds que le sable. Au bout de 6 ans, c’était parti. » Les travaux avaient aussi provoqué « clairement une diminution de la biodiversité », puisque les petits sédiments sont allés colmater les branchies et les voies respiratoires des animaux qui filtrent l’eau du fleuve.
Le mal est fait
Les galets comme ceux à Sainte-Flavie ont, eux, peu d’incidence sur la faune marine. Les oiseaux et la flore locale ont seulement perdu un habitat. Le constructeur prévoit replanter des élymes des sables l’an prochain, mais le mal est fait, souligne la biologiste.
« L’élyme des sables est une alliée climatique. C’est une plante qui sert à retenir le sable pour prévenir l’érosion. Évidemment que si on lui retire son habitat, on change 4 trente sous pour 1 piasse. »
Il n’y a peut-être pas de solution miracle, indique-t-elle. « Essayer de jouer à Dieu et de changer ça pour d’autres choses, c’est un effet domino. On veut améliorer notre existence, et ça crée d’autres problèmes. Là, il faut régler l’autre problème… Regarder ce qui était là à l’origine, et revenir à ce qu’il y avait à l’époque, c’est probablement ce qui est le plus efficace. »