Une deuxième vie pour les Herbes salées du Bas-du-Fleuve
Stéphanie Ross et Guillaume Fournier ne chôment pas depuis leur acquisitionLes Herbes Salées du Bas-du-Fleuve n’ont plus vraiment besoin de présentation. Ce mélange d’herbes, de légumes et de sel assaisonne les plats d’ici depuis bientôt 60 ans. L’entreprise à l’origine de ce classique de la cuisine québécoise a changé de propriétaire l’an dernier et, après une refonte des méthodes de fabrication, ses pots vont prochainement franchir les frontières du Québec.
Par Jean-Louis Bordeleau, Initiative de journalisme local- Le Devoir
« Ça fait un an et demi qu’on a acheté [l’entreprise] et on dirait que sept ans se sont écoulés », souffle Stéphanie Ross. Elle et son conjoint, Guillaume Fournier, gravitaient déjà dans le milieu agricole du Bas-Saint-Laurent quand l’occasion de racheter la célèbre marque s’est présentée à eux l’an dernier. Jean-Yves Roy, le créateur de ce condiment, n’avait pas de relève après avoir passé des décennies à commercialiser la recette de sa mère.
« Ça aurait pu être quelqu’un des États-Unis [qui allait racheter l’entreprise], mais on aurait perdu toute l’histoire. Il voulait garder ça en région, garder l’essence. Et il ne voulait pas dénaturer sa recette », résume-t-elle.
Les deux entrepreneurs étaient les parfaits candidats. Ils connaissaient très bien monsieur Roy et leur ferme d’agneau était située dans La Mitis, le même coin de pays que le fondateur.
Tout un défi les attendait au détour de ce repreneuriat. Le contenu des pots de plastique transparent était confectionné à la main. Les légumes étaient taillés avec un tout petit hachoir. Les normes de salubrité laissaient à désirer. Les pots n’étaient pas scellés.
Aucune traçabilité ne permettait un suivi de contrôle qualité. On tolérait ces écarts sous l’excuse de la tradition.
Qui plus est, les employés vissaient tous les pots à la main et, à la fin de la journée, certaines travailleuses « avaient de la misère à détacher leur brassière » tellement le geste usait les poignets.
Les stocks à zéro
Pendant ce temps, les acheteurs s’impatientaient. Une fois la transaction officialisée, en juillet 2023, les distributeurs n’ont pas attendu une semaine pour commander un camion plein. Les stocks étaient à zéro.
« Le défi n’était pas d’attendre des commandes, mais de répondre à celles-ci, dit Mme Ross. On a acheté la marque de commerce, des clients et une recette. »
Le reste, ils l’ont bâti dans l’urgence.
Une première usine presque entièrement automatisée a été construite avant même l’approbation de l’offre de rachat. Une deuxième a été terminée il y a quelques semaines à peine.
« On est passés de 1000 pots par jour à 10 000 pots par heure. Au début, en 1979, ils faisaient 10 000 pots par année. On est à 450 000 pots cette année. »
Changer sans changer
Une préparation aussi traditionnelle que des herbes salées, issue de la plus vieille technique de préservation du monde, ne pouvait pas être faite à partir d’une autre recette.
Changer ne serait-ce que la taille des légumes hachés aurait provoqué un tollé, assure Stéphanie Ross. Longue a donc été la recherche d’un hachoir industriel qui répondait à cette exigence.
Le couple a tenu à « ne rien changer » de la recette originale. Il a par contre dû commencer à s’approvisionner en dehors de ses champs. Jean-Yves Roy n’utilisait jadis que les produits de son propre champ.
Les deux entrepreneurs ont donc commencé à acheter des légumes ailleurs dans le Bas-Saint-Laurent pour assurer un volume suffisant.
Stéphanie Ross tient à acheter local autant que faire se peut. Le légume le plus loin qu’ils achètent, c’est du céleri de la région de Québec.
« Si je manque de céleri au mois de septembre, il faut que j’aille au Mexique. Ça, je ne le veux pas. »
La solution pour croître sans manquer de matières premières passe aussi par la récupération des cargaisons « rejetées » en épicerie.
Des camions entiers remplis de légumes légèrement abîmés évitent le chemin du dépotoir tout en permettant à l’entreprise bas-laurentienne d’économiser sur les ingrédients, se plaît à dire madame Ross.
« Les carottes à deux têtes sont super bonnes, mais elles ne passent pas à l’épicerie. Alors, on accueille ces pauvres carottes à deux têtes. […] Les fines herbes, c’est toujours nous autres [qui les produisons]. On est les plus gros producteurs de sarriette au Québec ! »
De nouvelles herbes, de nouveaux marchés
Quelques nouveautés se sont tout de même ajoutées au catalogue de l’entreprise. Un mélange d’herbes salées déshydratées était vendu en très petites quantités dans les marchés de la région par l’ancien propriétaire.
Les nouveaux détenteurs de cette recette secrète souhaitent commercialiser cet aromate partout au Québec. Et pourquoi pas au-delà ? Le marché de l’Ontario est prometteur, semble-t-il.
Les deux entrepreneurs comptent d’ailleurs garder l’appellation en français si les occasions de vendre hors Québec se concrétisent.
« On a construit une chambre de déshydratation sur mesure. On l’a fait sans savoir si ça allait marcher. On a mis un plateau et ça a fonctionné à merveille, raconte Stéphanie Ross. Ce sont les mêmes ingrédients [que pour les herbes salées humides], mais avec 20 fois plus de fines herbes. »
Depuis qu’il a repris l’affaire, le couple dit recevoir des offres de partout. Un balado est en cours de réalisation, tout comme un livre de recettes « 100 % herbes salées ».
Malgré l’année remplie de défis qu’ils viennent de traverser, Stéphanie Ross et Guillaume Fournier rêvent toujours de conquérir de nouveaux marchés et ne comptent pas s’asseoir de sitôt sur leurs lauriers.