Victor-Lévy Beaulieu : bâtisseur d’un « héritage » collectif
L’écrivain, scénariste et éditeur est décédé à l'âge de 79 ans
En fin de semaine dernière, en passant par Trois-Pistoles, j’ai admiré la grande maison ancestrale où vivait Victor-Lévy Beaulieu. L’écrivain, scénariste, polémiste et homme de cœur y avait élu domicile, depuis son retour dans Les Basques, au début des années 1980. Longtemps, sa cour fut animée de petits animaux de ferme dont il prenait soin quotidiennement, au même titre que son vaste potager.
VLB est décédé chez lui, dans la nuit de dimanche à lundi à Trois-Pistoles, à l’âge de 79 ans.
Jeune journaliste, rencontrer ce monument de la littérature québécoise représentait un véritable défi. Pas de demi-mesure, pas de faux-fuyant, pas de flatterie. Il fallait être solide. Et prêt à débattre. VLB pouvait se montrer aussi généreux qu’il savait être provocateur.
Il laisse derrière lui une œuvre monumentale, mais aussi une empreinte profonde sur le développement culturel de sa région et de son peuple.
L’ancien maire de Trois-Pistoles et ami proche de VLB, Jean-Pierre Rioux, est convaincu que son œuvre a ouvert bien des portes.
« Il nous a fait prendre conscience de notre identité terrienne, rurale. Il nous a rappelé qu’être issu d’un petit milieu n’empêche pas de voir grand. »
Il se souvient aussi qu’au début des années 1980, VLB fut surpris de découvrir un théâtre d’été installé au camping de Trois-Pistoles. Il s’était aussitôt proposé pour écrire des pièces.
Comme celles-ci exigeaient de nombreuses interprétations, leur rentabilité était difficilement assurée. La municipalité avait alors accepté d’absorber les déficits.
« On savait qu’on ne pouvait rêver meilleur ambassadeur pour faire rayonner Trois-Pistoles, au Québec et même à l’étranger. »
Victor-Lévy Beaulieu a également contribué à la création d’institutions culturelles comme la Maison VLB et le Caveau Théâtre. Jean-Pierre Rioux se souvient encore des autobus bondés qui faisaient halte au centre-ville.
« Il a permis à Trois-Pistoles de se doter d’un véritable pôle culturel. Il nous a donné la confiance de dire : nous aussi, on est capables. »
Michel Lagacé, préfet de la MRC de Rivière-du-Loup, abonde dans le même sens. « Il a profondément influencé la culture de notre coin de pays, à travers ses mots et son regard singulier. C’est un monument de l’histoire des Basques et du Bas-Saint-Laurent. »
Homme de générosité et de vision
Pour l’ex-directeur du Théâtre du Bic et comédien, Eudore Belzile, les téléromans de VLB, dont l’immense succès « L’Héritage », ont durablement marqué l’imaginaire collectif. Il voit en VLB un bâtisseur audacieux.
« Ses récits racontaient nos réalités. Ils nous ressemblaient. C’était un visionnaire. Même s’il n’avait pas forcément un grand sens des affaires, il a contribué à doter Trois-Pistoles d’infrastructures culturelles essentielles pendant de nombreuses années », indique-t-il.

Monsieur Belzile souligne aussi la générosité de l’homme. « Il a donné énormément à sa communauté, qui parfois l’a mal compris. Certains pensaient qu’il cherchait à s’enrichir, alors qu’il a perdu beaucoup d’argent pour ses projets. À ses yeux, Trois-Pistoles devait devenir le centre culturel de l’Est-du-Québec. »
Éditeur et passeur de voix
Grâce à son travail d’éditeur, Victor-Lévy Beaulieu a aussi permis à de jeunes écrivains de se faire connaître.
« Sa passion pour les mots des autres », comme le rappelle son proche collaborateur, Nicolas Falcimaigne, le guidait bien plus que tout calcul.
Il avait fondé les Éditions Trois-Pistoles dans sa propre maison. « La ligne éditoriale était résolument régionaliste et engagée. C’était une maison qui n’avait pas peur de publier des textes audacieux, ni de prendre des risques pour révéler des voix régionales qui, autrement, seraient restées inconnues. »

Monsieur Falcimaigne souligne que VLB s’est toujours mis au service de sa région, souvent à bout de bras. « Il faisait les choses lui-même, sans rien attendre des autres. Mais quand il avait besoin d’un coup de main, il ne le recevait pas toujours. »
Rêver d’un pays
Victor-Lévy Beaulieu était un ardent indépendantiste. Il fut militant de la première heure du Parti québécois, vice-président de la Commission sur l’avenir du Québec initiée par Jacques Parizeau, et vice-président de la campagne du OUI au Bas-Saint-Laurent lors du référendum de 1995.
« Il a porté ce rêve de souveraineté aussi bien dans ses écrits que dans ses engagements politiques », rappelle Michel Lagacé.
Profondément déçu, VLB avait rompu avec le Parti québécois pour rejoindre le Parti indépendantiste, avant de se présenter comme candidat indépendant contre Mario Dumont en 2008. Jusqu’à la fin de sa vie, il exprima sans relâche sa frustration devant le déclin de l’élan souverainiste.
« C’était un homme qu’on ne pouvait enfermer dans aucune case. Il était hors norme. Unique », estime monsieur Lagacé.