La drôle d’histoire de la guerre du câble
Un épisode majeur de l’histoire régionale du 20e siècle, la guerre du câble, s’est amorcé au début 1974 et s’est conclu le 30 novembre 1977, il y a eu 44 ans, hier, par un jugement de la Cour suprême.
Un événement qui aura attiré l’attention sur la région de Rimouski-Matane pendant tout ce temps, au point où les médias nationaux ont suivi toute l’histoire. À une époque où on peut capter des contenus russes sur Internet, il apparaît difficile de concevoir qu’il n’y a pas si longtemps, les moyens de communication étaient rares et difficiles d’accès.
Cette histoire est aussi survenue alors que le Québec voulait affirmer de plus en plus son identité propre. Le PQ avait été élu pour la première fois quelques mois avant le jugement. Une fois celui-ci rendu, le premier ministre René Lévesque avait cité Maurice Duplessis en affirmant que la Cour suprême était comme la tour de Pise : elle penchait toujours du même côté.
Deux permis concurrents
« Au début des années 1970, les résidents du secteur Rimouski-Mont-Joli ne peuvent capter qu’une seule station de télévision : CJBR-TV. Mais bientôt, les choses vont changer grâce à la câblodistribution. En avril 1974, François Dionne, de Matane, obtient un permis fédéral du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) pour desservir le territoire compris entre Matane et Le Bic. En septembre, Raymond D’Auteuil, de Rimouski, obtient un permis provincial de la Régie des services publics du Québec pour exploiter une entreprise de câblodistribution dans la zone comprise entre Rimouski et Mont-Joli », rappelle l’historien et chroniqueur du journal le soir Richard Saindon, dans « Chronique du Bas-Saint-Laurent ».
Querelle sans précédent
« Cette affaire déclenche une querelle sans précédent entre le gouvernement fédéral et celui du Québec au sujet de l’autorité des télécommunications au Canada, un épisode connu sous le nom de « guerre du câble ». Le fédéral prétend que la télévision est sous sa compétence exclusive, tandis que Québec plaide que le câble relève des compagnies de téléphone et tombe sous sa compétence. Ottawa ordonne à la Gendarmerie royale du Canada (GRC) de saisir les équipements de Raymond D’Auteuil, mais le ministère des Communications du Québec riposte en prêtant de nouveaux équipements à l’homme d’affaires rimouskois, une antenne mobile activement recherchée par la GRC. Finalement, le 30 novembre la Cour suprême penche en faveur du fédéral », lit-on également.
Entre le ciel et la terre
Le collègue Ernie Wells, également chroniqueur au journal, mais aussi un ancien rédacteur en chef des hebdomadaires le Progrès-Écho et le Rimouskois, se souvient très bien de cette époque. Il avait mis sa plume -en anglais svp- à la disposition du Montreal Star pour couvrir l’événement. Monsieur D’Auteuil est devenu un ami.
« François Dionne gérait une entreprise qui s’appelait Câblovision BSL et pour Raymond D’Auteuil, c’était Câblodistribution de l’Est. La guerre tournait autour de la question à savoir si tout ce qui aérien et transitait par les airs (fils) relevait du fédéral, alors que ce qui était terrestre ou enfoui, comme un câble, était de juridiction provinciale. Après le jugement, Raymond D’Auteuil a dû vendre sa compagnie et tous ses clients à Câblovision et se recycler. À près de 50 ans, il était retourné à l’école pour obtenir une licence de droit de l’Université Laval. Il s’alignait dans une équipe de hockey de l’Université Laval et il en était le membre le plus âgé! Il s’est spécialisé, par la suite, dans les divorces. Ce que j’ai retenu principalement de cette histoire, c’est que monsieur D’Auteuil en a été la principale victime. C’est comme si cette bataille s’était déroulée sur le dos de Raymond D’Auteuil. »
Homme impliqué
Raymond D’Auteuil, qui est décédé en 2016, était un homme très impliqué dans sa communauté et doté de grandes qualités humaines. Il a notamment été conseiller municipal et membre du Club Lions.
« C’était un homme très dynamique et qui avait décidément l’esprit d’entrepreneuriat. Il était très jovial et coloré. Je ne l’ai jamais vu sans un sourire. Nous avions un rituel entre amis, même dans les années qui ont précédé son décès. Nous nous retrouvions une ou deux fois par année au casse-croûte Chez Alphonse, pour déguster un « smoked-meat ». On s’échangeait les nouvelles sur la communauté rimouskoise. C’était vraiment un fonceur et un homme attachant. Il était convaincu qu’il avait raison pour ce qui est de la guerre de juridictions », ajoute monsieur Wells.
Antennes, films XXX et bondieuseries
Deux souvenirs cocasses reviennent à l’esprit d’Ernie Wells. « C’était drôle de voir la chasse aux antennes de Raymond D’Auteuil qui servaient à émettre son signal. La GRC les cherchait constamment. Tous les jours, les antennes changeaient de place. Raymond avait de bons appuis au niveau provincial qui l’aidaient à jouer à ce jeu de cache-cache. Il arrivait toujours à transmettre son signal, parce qu’il y avait toujours une seconde antenne disponible à un autre endroit. C’était toujours la course, mais les abonnements allaient très bien. La guerre lui faisait de la publicité. »
Monsieur Wells se souvient également de ce qui avait fait la grande popularité du câble à Rimouski, à l’époque : les films XXX. « Ce qui a aidé aussi à l’accroissement fulgurant des abonnements à Rimouski, c’est que le samedi soir, en fin de programmation, il passait des films XXX. Ça a marché fort! Un moment donné, un curé est arrivé en chaire pour dire que « seuls les chrétiens débranchés écoutent le câble. » »
Pour les personnes que cela pourrait intéresser, on peut consulter ici la décision rendue par la Cour suprême.