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Au lendemain du référendum, Parizeau présentait sa démission

Suzanne Tremblay et Jacques Parizeau, alors plus jeune sur cette photo des Archives nationales du Québec, que lors du référendum de 1995. (Photos: archives et BAnQ)

Le journal le soir souhaite revenir sur le 25e anniversaire du référendum sur la souveraineté du Québec, le 30 octobre dernier, alors que bien des parallèles peuvent être tracés entre cet événement historique et les événements que nous vivons présentement.

La crise de la COVID-19 nous impose un événement qui restera aussi marqué dans nos mémoires. Par son déroulement, par son résultat et par les informations qui ont filtré par la suite, le référendum de 1995 demeure un événement marquant qui a fait vivre des émotions très fortes à ceux qui sont maintenant âgés de 45 ans et plus.

Émotions fortes

À titre de journaliste depuis 36 ans maintenant, l’auteur de ces lignes classerait en effet le référendum de 1995 parmi les événements les plus mémorables de sa carrière et de l’histoire du Québec depuis celui de 1980, sur le plan de l’intensité émotive. Nous vivons un peu la même chose avec la pandémie, alors que cette crise fait vivre bien des hauts et des bas aux Québécois. Toutefois, la crise aura duré plus longtemps que la campagne référendaire!

Au soir du référendum, j’ai encore frais en mémoire les réactions tantôt hystériques et tantôt découragées d’une foule rassemblée à l’Hôtel Rimouski pour une fête qui ne viendra jamais, l’attitude et les réactions de l’ex-députée Suzanne Tremblay, du Bloc Québécois, et les émotions que j’ai moi-même ressenties.

Découragée

Une grande tristesse se lisait sur le visage de madame Tremblay, décédée à la fin du mois de septembre dernier. Elle se disait incapable de confirmer si le Bloc Québécois allait poursuivre sa présence à Ottawa, mais qu’elle-même voulait retourner à la Chambre des communes pour défendre le Québec. Les manœuvres du camp du « Non » pour influencer le vote des Québécois lui étaient restées dans la gorge. Pour ma part, même avec le devoir de demeurer objectif, j’étais frappé par la détresse de ceux qui voulaient un pays pour les Québécois et j’étais demeuré incrédule sur les résultats du vote pendant plusieurs jours.

Souvenir de l’année de naissance

Un collaborateur du journal nous a souligné une pratique très intéressante à l’occasion de la naissance d’un enfant. L’idée est de réunir les découpures de presse des principaux événements de l’année de naissance, pour ensuite les raconter à l’enfant lorsqu’il deviendra en âge de comprendre. C’est ce qu’a fait ce collaborateur en 1995.

Une idée qui pourrait très bien être reprise pour souligner à ceux qui naîtront cette année que 2020 aura été celle d’une crise exceptionnelle et inédite dans notre histoire.

« Parizeau s’en va », titrait Le Soleil, à l’époque, alors que La Presse mentionnait le gain serré des fédéralistes: « le Non de justesse » à 50,6 % des voix exprimées. (Photo: courtoisie)

Démission

La période du référendum de 1995 est aussi importante sur le plan historique en raison de la démission, le 31 octobre, du chef péquiste et premier ministre québécois de l’époque, Jacques Parizeau, homme politique à la longue feuille de route. Dépité à la suite du résultat serré du référendum, il avait commis une bourde en mettant publiquement la défaite sur le dos de « l’argent (dépensé par le fédéral et le camp du « non ») et du vote ethnique. »

Voici le texte intégral du discours prononcé par le premier ministre Jacques Parizeau le 31 octobre 1995. Ce discours de démission a été publié dans l’édition du journal Le Devoir, paru le mercredi 1er novembre 1995.

Un pari fou

« Il y a sept ans, j’ai fait un pari fou. Le pari de reprendre un combat que plusieurs disaient vain. Que plusieurs disaient fini, foutu. J’ai fait le pari que les Québécois ne se contenteraient jamais d’être autre chose qu’un peuple. Et que la seule façon que nous ayons d’être un peuple, c’est d’avoir un pays à nous. »

« Pendant sept ans, petit à petit, les événements ont donné raison aux héritiers de René Lévesque. Pendant sept ans, petit à petit, la souveraineté a repris ses forces, elle a essaimé dans d’autres partis, sur d’autres tribunes, elle s’est renouvelée dans son contenant comme dans son contenu. D’autres sauront, mieux que moi, faire le bilan de ces sept années. Pour ma part, je retiendrai quatre choses. »

« D’abord, le fait qu’une nouvelle génération de Québécois ait repris le flambeau de la souveraineté avec un enthousiasme et une ardeur sans pareils. C’est pour moi la plus grande réalisation que le mouvement souverainiste pouvait accomplir : se donner une nouvelle jeunesse. S’inscrire définitivement dans la durée. »

Générations

« Puis, le fait que la souveraineté se soit étendue à toutes les générations de Québécois. Cette année, il y avait des indépendantistes aux cheveux encore plus blancs que les miens. Nous avons donc réalisé, pour la souveraineté, le mariage de la sagesse et de la fougue de la jeunesse, donc de l’expérience et de l’énergie. Une cause qui réussit cette jonction ne pourra jamais mourir. J’ajoute que nous avons su donner aux femmes une voie plus forte au sein et à la tête de notre parti et de notre gouvernement. C’est pour moi une grande victoire. »

« Aussi, ces dernières années, la voix souverainiste s’est enfin fait entendre sur la scène fédérale, là où elle n’avait auparavant pas droit de cité. C’est un changement majeur qui modifie toute la donne. »

Nouveau contenu

« Finalement, nous avons su, il me semble, donner un contenu nouveau à la souveraineté. Un nouveau contenu économique, en mettant au coeur de notre projet la nouvelle réalité d’une planète qui est aujourd’hui presque un seul grand marché. Un nouveau contenu social, car nous avons su concilier notre instinct de solidarité et d’entraide et les rigueurs actuelles de la situation économique et financière. […] »

« Et il y a une de ces frontières que, bien humblement, j’ai été incapable de franchir. Je n’ai pas réussi à faire en sorte qu’une proportion significative de nos concitoyens anglophones et allophones se sentent solidaires du combat de leurs voisins. René Lévesque s’était épuisé en vain sur ce même clivage. Gérald Godin avait réussi à se faire beaucoup d’amis dans ces milieux, mais bien peu de convertis. C’est pour moi une déception très grande, car je sais les efforts que nous avons tous mis depuis sept ans à transformer cette réalité. Cela explique aussi que j’ai pu, hier, formuler cette déception dans des termes qui auraient pu être beaucoup mieux choisis. […] »

« Une des magnifiques nouvelles de la journée d’hier fut le taux de participation de 94 % et la sérénité du vote, qui témoignent que nous avons ici une population qui ne connaît pas d’égale, sur le globe, quant à sa maturité démocratique. Je salue tous les électeurs et toutes les électrices. »

Être reconnus

« Il s’est produit hier une autre chose extraordinairement importante. Les Québécoises et les Québécois ont signifié à leurs voisins et au monde qu’ils doivent être reconnus comme peuple. Les hochets symboliques de société distincte et d’ententes administratives doivent être remisés dans les cercueils de Meech et de Charlottetown : c’est leur place. »

« Les Québécois ont dit hier qu’ils veulent une véritable reconnaissance et qu’ils n’accepteront rien de moins que l’égalité. Il faut être clair ; hier, le Québec s’est levé debout. Il s’est levé pour de bon et on ne pourra jamais le faire reculer. Hier, le Québec s’est levé debout : il lui reste un pas à faire. Il a l’élan voulu, il en a la capacité, il ne lui manque que l’occasion. Elle viendra bientôt, j’en suis profondément convaincu. »

« Comment ce pas doit-il se faire ? Par où passe le chemin qui mènera au nouveau et inévitable rendez-vous avec la souveraineté ? Ce n’est pas à moi de le dire, ce n’est pas à moi de le faire. Avec mes qualités et mes défauts, j’ai contribué à conduire ce grand projet au résultat du 30 octobre. »

« Compter sur moi »

« D’autres, maintenant, lui feront franchir la dernière frontière. J’annonce aujourd’hui qu’à la fin de la session parlementaire de l’automne, je libérerai les postes de premier ministre, de président du Parti québécois et de député de L’Assomption, que les Québécois m’ont fait l’honneur de me confier. »

« Dans l’intervalle, comme premier ministre, je m’emploierai à faire avancer plusieurs dossiers importants pour la bonne marche du gouvernement et pour l’avenir de nos compatriotes. Des décisions importantes, certaines difficiles, doivent être prises. J’y veillerai. Je remercie tous ceux et toutes celles qui ont fait avec moi ce bout de chemin et je sais qu’ils seront encore plus nombreux dans les mois et les années qui viennent. Je ne serai certes plus à leur tête, mais ils peuvent compter sur moi : je serai toujours à leurs côtés. »

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