Pandémie et temps des Fêtes : encore des deuils à faire
«Le poids psychologique de la crise se fait de plus en plus sentir»Tout comme elle l’avait anticipé en juillet, une psychologue qui collabore avec le journal le soir, Geneviève Beaulieu-Pelletier, constate que la crise du coronavirus affecte de plus en plus les Québécois en général et les personnes éprouvant des problèmes de santé mentale en particulier.
En juillet dernier, madame Beaulieu-Pelletier relevait que non seulement la crise affectait le moral des Québécois, mais que le contexte faisait aussi en sorte que les personnes atteintes de maladies mentales voyaient leur état se détériorer, en raison d’un manque de soutien et de services dû à la pandémie.
Un événement comme le drame survenu à Québec en fin de semaine dernière lui donne malheureusement raison, en ce qui concerne la santé mentale.
Bouleverser
Mais aussi, on réalise que la crise viendra bouleverser le temps des Fêtes, ce qui risque d’en affecter plus d’un. Surtout qu’on fait souvent l’effort en temps normal, malgré l’arrivée de novembre et du temps froid, de bien faire ce qu’on a à faire en se disant qu’on aura notre récompense à Noël, avec un « party de bureau », des célébrations en famille et des voyages dans le Sud. Tout cela est maintenant compromis.
Pas améliorée du tout!
« Depuis qu’on s’est parlé la première fois, en juillet, je ne crois pas que l’on puisse vraiment dire que la situation s’est améliorée en termes de santé mentale. Pas du tout. Le poids psychologique de la crise se fait de plus en plus sentir. Plus les périodes de confinement augmentent, plus les mesures sanitaires sont difficiles à accepter; plus le temps passe et plus le poids psychologique est lourd. On s’attend aussi que dans les prochaines semaines et les prochains mois, la tendance se poursuive. Le fait que la deuxième vague arrive à l’automne, avec la baisse de luminosité extérieure et le fait qu’on est déjà à l’intérieur à cause du froid sont d’autres facteurs qui entrent en jeu. »
Des projets compromis
« Les prochains mois risquent d’être encore difficiles. Le plaisir risque d’être moins là aux Fêtes. Certains sont même en train de préparer la Semaine de relâche ou la prochaine période de vacances. On se nourrit beaucoup, en temps normal, dans ces projets-là en espérant qu’ils seront agréables, en partage avec les autres, et avec un aspect découverte, pour un voyage. On ne sait pas comment on va pouvoir les réaliser, ces projets. Qu’est-ce qui sera permis à Noël? Chose certaine, ce ne sera pas comme d’habitude », affirme madame Beaulieu-Pelletier.
Des deuils à faire
« En ce moment, c’est très difficile de savoir à quoi s’en tenir. Les moments-phares comme Noël sont bouleversés. On perd des repères et notre espoir que ce seront des moments mémorables. Il y aura encore des deuils à faire. On pourra peut-être voir quelques proches aux Fêtes cette année, mais ce seront des rassemblements très limités. Si c’est important pour soi ces retrouvailles annuelles, on va ressentir le manque de manière aussi importante », croit la psychologue.
Des outils
Madame Beaulieu-Pelletier recommande aux citoyens qui anticipent un Noël difficile de se donner un coup de pouce avec différents outils : « On peut se dire oui, ce sera différent, mais on peut essayer de se réinventer, d’organiser « son » Noël. On peut se demander qu’est-ce qu’on peut soi-même mettre de l’avant pour que ce soit malgré tout satisfaisant. Il y a moyen de travailler ça, mais c’est vrai que sur le coup, dans le moment, on est d’abord dans les deuils à faire. »
Geneviève Beaulieu-Pelletier apprécie par ailleurs l’attitude et les efforts additionnels des élus provinciaux, alors que le ministre Lionel Carmant annonçait, lundi, une somme de 100 M$ pour combattre la détresse psychologique en temps de pandémie. Un des objectifs est de faciliter l’accès aux services de santé mentale.
De six à 24 mois d’attente
« L’Ordre des psychologues a salué les efforts de Québec. J’ose croire que cela va vraiment apporter des ressources dont on a vraiment besoin. Par contre, ce qu’il faut voir c’est comment ce sera appliqué. Il faut espérer des impacts concrets. Nous espérons que des services de suivi au privé seront payés en partie par l’État. Parce qu’au public, il n’y a pas suffisamment de ressources présentement. Pour voir un.e psychologue, les listes d’attente vont de six à 24 mois. Pour un problème de santé mentale, ce n’est pas aussi tard qu’on devrait consulter, car la détresse est présente, là, maintenant. »
Drame de Québec
Quant au drame de Québec, il semble que le suspect qui aurait tué deux personnes et en aurait blessé gravement cinq autres en fin de semaine dernière, avait des problèmes de santé mentale aggravés par la crise du coronavirus. On peut se dire que la société en est en partie responsable pour ne pas avoir permis de soigner cet homme avant qu’il ne commette l’irréparable.
« C’est un exemple de là où il faut travailler en prévention et dans l’accessibilité aux services. Les investissements qui ont été faits sont là en réponse à la détresse, mais on est vraiment en train, en ce moment, de devancer ces annonces en disant : voici un problème de santé mentale. C’est un événement clair : un drame, mais là, c’est comme si ça nous arrivait en pleine face. Il faut travailler avant que ça arrive! Parce que justement, il y en a qui souffrent chez eux et ça ne paraît pas. »
Groupes d’entraide
« La détresse n’est pas toujours facile à détecter. C’est pour ça qu’il faut justement en parler et enlever les tabous. Je ne parle pas seulement de psychothérapie. Il y a d’autres ressources, comme les groupes d’entraide. Si on a accès à des intervenants, ça peut être très aident pour éviter que des drames comme ça surviennent. Au moment où on se parle, il y a bien des gens en détresse et qui ne savent pas comment l’exprimer. Si on garde ça en-dedans et qu’on est désorganisé sur le plan émotif, cela peut se traduire par des gestes de violence. Il faut être attentif à la souffrance et ainsi, il y a moyen de désamorcer des situations comme celle-là », conclut la psychologue.